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Le statut abroge l' « article de la honte », le 227 Bis, qui permet l'abandon des poursuites contre l'auteur d'un acte sexuel avec une mineure de moins de 15 ans s'il se marie avec sa victime. ©Credif Le statut abroge l' « article de la honte », le 227 Bis, qui permet l'abandon des poursuites contre l'auteur d'un acte sexuel avec une mineure de moins de 15 ans s'il se marie avec sa victime.

La Tunisie, seul pays arabe à se doter d'une législation contre les violences faites aux femmes

Le parlement tunisien a adopté le 26 juillet dernier la Loi organique sur l’élimination de la violence faite aux femmes. C’est l’aboutissement d’une longue bataille entamée par les féministes il y a près de vingt ans. Le point sur ce dossier par Olfa Belhassine, correspondante à Tunis de JusticeInfo.net, le site web de la Fondation Hirondelle consacrée à la justice et aux processus de réconciliation à travers le monde :

 

 A l’unanimité des députés présents ce soir-là l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adopté le 26 juillet dernier la Loi organique sur l’élimination de la violence faite aux femmes. Le vote de ce texte très favorable à la condition et à la dignité des Tunisiennes a provoqué beaucoup d’émotions chez la plupart des femmes députées (72 sur les 217 députés en tout) qui n’ont pas pu s’empêcher de lancer des you you entre les murs de l’hémicycle. La Tunisie devient ainsi le seul pays arabe à détenir une telle législation et le dix neuvième pays dans le monde à combattre la violence à l’égard des femmes par l’instrument de la loi.

 

Cette nouvelle loi constitue en fait une application de la Constitution, en particulier l’article 46 qui stipule : « l’Etat doit prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre les femmes ».

 

De l’avis de plusieurs juristes, l’importance de ce texte réside d’une part dans le fait qu’il reprend les critères et les instruments internationaux en matière de lutte contre la violence faite aux femmes. Il repose d’autre part sur les quatre piliers de la lutte contre ce fléau : la prévention, la protection des victimes, la prise en charge des femmes violentées et la répression des auteurs.

 

« Désormais, cette date comme celle du 13 août 1956, qui a vu la promulgation du Code du statut personnel, le plus avancé en faveur des femmes en terre arabo islamique, sera marquée pour les femmes tunisiennes d’une pierre blanche», a déclare récemment l’historienne Dalenda Larguèche, directrice générale du Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (Crédif).

 

Création d’un juge spécial en matière de violence

Mais le combat n’a pas été facile pour arriver à convaincre le parlement à adhérer à un texte qui s’oppose à toutes sortes de violences à l’égard des femmes : physiques, sexuelles, morales, économiques et politiques. Un texte qui incrimine l’agresseur, protège les victimes, les répare et responsabilise l’Etat quant à leur prise en charge (hébergement, soins, accompagnement judiciaire et psychologique). Il abroge également un « article de la honte », le 227 Bis du Code pénal, qui prévoit l'abandon des poursuites contre l'auteur d'un acte sexuel présumé sans violences avec une mineure de moins de 15 ans s'il se marie avec sa victime. La loi augmente les peines correspondant à diverses formes de violence lorsqu’elles sont commises dans le cadre familial. Elle pénalise aussi le harcèlement sexuel dans les lieux publics, l’emploi des fillettes comme employées domestiques, et prévoit des amendes pour les employeurs qui discriminent intentionnellement les femmes au niveau des salaires. Elle stipule que des unités spéciales devront être créées au sein de la police, ainsi qu’un juge spécial en matière de violences. Dans les tribunaux des espaces indépendants seront désormais aménagés pour accueillir les victimes de tous types d’agressions.

 

« Les résistances étaient importantes au parlement. Jusqu'à la dernière minute, on ne voyait pas très bien quelles seraient les orientations que prendraient nos législateurs », témoigne Yosra Fraws, militante féministe et représentante de la Fédération internationale des droits de l’homme en Tunisie (FIDH). Yosra Fraws fait partie des experts qui ont suivi, défendu et porté cette loi depuis sa rédaction par des juristes tunisiens il y a trois ans jusqu'à sa discussion au sein de la Commission des droits et libertés à l’ARP dès le mois de juin 2017.

La majorité sexuelle passe de 13 à 16 ans

Parmi les points qui ont provoqué une polémique à l’Assemblée des représentants du peuple, la question de « la violence fondée sur le genre ». Plusieurs interprétations en ont découlé. Certains députés du parti islamiste Ennahda, aujourd’hui majoritaires au parlement, ont estimé que cette disposition mettait en péril « l’unité de la famille » et « légitimait le mariage homosexuel ». Il n’a pas été facile non plus d’élever l’âge du « consentement sexuel éclairé » de 13 à 16 ans. Mais un fait divers qui a entrainé le mois de décembre dernier beaucoup de réactions en Tunisie a probablement poussé les députés à revoir à la hausse la majorité sexuelle : une fillette a été mariée à son violeur dont elle est tombée enceinte alors qu’elle n’avait que 13 ans. L’auteur du viol avait prétendu que sa victime était consentante. Une assertion qu’elle n’a pas niée.

Grace au plaidoyer des associations féministes et des organisations de droits de l’homme qui ont formé une Coalition civile contre la violence à l’égard des femmes les députés ont finalement été convaincus du bien fondé de la novelle loi. Une stratégie de communication, militant dans le même objectif, ciblant les médias, les partis politiques et les leaders d’opinion de la société tunisienne a été menée par le Crédif.

L’aboutissement d’un long processus

Lors d’une rencontre-débat organisée le 4 août au Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme, la juriste et militante féministe (CREDIF) Hafida Chekir a rappelé dans un long témoignage l’âpre bataille de la société civile ces vingt dernières années afin d’aboutir au vote de cette législation.

C’était le début des années 90. L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) venait de naitre. Beaucoup de femmes de la gauche multiple y adhèrent. Parmi les premiers dossiers sur lesquels elles commencent à travailler, la violence à l’égard des femmes, qui sévit d’une façon dramatique dans la société.

« Nous avons alors rencontré une large résistance de la part du ministère de l’Intérieur et des différentes structures de l’Etat, sous le régime du président Ben Ali. Particulièrement lorsque nous avons cherché à coller notre affiche dans l’espace public. Les autorités nous répétaient : « Il s’agit de cas isolés. Vous exagérez. Vous n’avez pas à vous occuper de ce problème » », se souvient Hafida Chekir.

L’ATFD a ouvert malgré tout un centre d’écoute des femmes victimes d’agressions, elle a organisé en 1993 un séminaire sur ce phénomène et rédigé un livre sur ce sujet la même année, dont la publication a été censurée jusqu'à...2008.

« Il est important de rappeler toutes ces stations pour ne pas oublier le rôle joué par la société civile dans l’aboutissement de ce processus », a ajouté Hafida Chekir.

Poursuivant cet élan vers l’égalité totale entre les hommes et les femmes inscrite dans la Constitution, le président Béji Caied Essebsi a lancé hier dans son discours présenté à l’occasion du 13 aout, fête de la femme tunisienne, un débat sur l’égalité successorale. Malgré toutes leurs conquêtes et avancées les Tunisiennes héritent toujours de la moitié de la part des hommes.