Devenus en un peu plus d’une décennie un vecteur mondial de diffusion de l’information, les réseaux sociaux sont aussi un lieu privilégié de propagation de messages erronés ou haineux. Comment les médias d’information peuvent-ils s’y distinguer ? C'est le sujet du 4ème numéro de "Médiation", publication semestrielle de la Fondation Hirondelle, dont nous publions ci-dessous l'article introductif.
Apparus au milieu des années 2000, longtemps cantonnés à un espace de partage de nouvelles personnelles entre classes moyennes occidentales, les réseaux sociaux numériques sont devenus à la fin des années 2010 une réalité médiatique planétaire : 58 % de la population mondiale âgée de plus de 13 ans utilise au moins un réseau social. Dans les pays où l’information constitue un marché, 36 % des utilisateurs de Facebook, principal réseau social mondial avec près de 2,3 milliards d’abonnés, consultent leur compte à des fins d’information. Dans des pays émergents mais confrontés à de nouvelles formes de censures, comme le Brésil ou la Turquie, l’application de téléphone mobile Whatsapp – propriété de Facebook – est utilisée de façon croissante par des groupes comportant plusieurs milliers de personnes pour partager des informations sur des sujets d’intérêt commun. Le succès de ces plateformes s’explique largement par la démocratisation médiatique qu’elles portent : chacun peut produire et diffuser de l’information, sans passer par le filtre d’un média reconnu ou d’une institution.
Mais les années 2016 à 2018 ont soulevé à l’égard des réseaux sociaux une défiance mondiale liée aux conséquences politiques et sociales de leur utilisation massive à des fins de désinformation. Un cas a marqué les esprits : celui de Cambridge Analytica et de la manière dont cette entreprise a utilisé Facebook pour favoriser le Brexit puis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. En Birmanie, l’armée est accusée d’avoir créé sur Facebook des centaines de pages pour propager la haine de la minorité musulmane Rohingya, dont plusieurs milliers ont été massacrés et plus de 700 000 autres expulsés vers le Bangladesh au cours d’un processus que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a qualifié de génocide.
Interpellées sur ces sujets par l’opinion publique et par les gouvernements, les entreprises qui possèdent ces réseaux sociaux proposent des mesures d’autorégulation technique sur les algorithmes, ou éditoriales sur les règles de publication. Ces mesures restent peu claires, et ont du mal à convaincre de leur bonne foi et de leur efficacité. Les gouvernements non plus n’osent pas trop contraindre légalement ces plateformes porteuses d’engouement public et de développement économique. Dans ce contexte, comment les médias d’information peuvent-ils se distinguer sur les réseaux sociaux ?
Pour la Fondation Hirondelle et ses médias, les réseaux sociaux représentent une opportunité, impossible à négliger, de diversifier les moyens d’accès à nos informations, et programmes. Les statistiques de la Banque Mondiale et de l’Union Internationale des Télécommunications estiment qu’en 2025, 77 % de la population mondiale sera régulièrement connectée sur les réseaux sociaux et en ligne (contre environ la moitié en 2019). Nous nous adressons toutefois aux pays qui resteront probablement parmi les moins bien connectés.
Alors que ces outils de communication promettaient d’apporter plus de démocratie et d’égalité, ils instaurent de facto une fracture numérique, c’est-à-dire un fossé entre les personnes connectées et celles qui le sont peu ou pas du tout. Cette fracture accentue les clivages mais aussi les inégalités : les personnes les moins riches, les moins éduquées, vivant en zone rurale, les femmes surtout ont moins accès à ces technologies. De plus, la consommation d’informations à travers les réseaux sociaux accentue le phénomène « d’entre-soi » et limite l’ouverture à d’autres points de vue.
Comme toute organisation médiatique, nous devons donc rester attentifs aux moyens techniques dont disposent les populations que nous ciblons, et utiliser tous les canaux disponibles (audio, vidéo, texte) pour continuer à toucher, sans discriminer, le plus grand nombre.
Caroline Vuillemin,
Directrice générale de la Fondation Hirondelle
Retrouvez cette analyse, ainsi que des interviews avec des chercheurs et journalistes, des chiffres et des infographies dans le quatrième numéro de "Médiation", publication semestrielle de la Fondation Hirondelle, à télécharger ici : https://www.hirondelle.org/pdfviewer/?lang=fr&id=334