Emma Heywood est chercheuse au département de journalisme de l’Université de Sheffield. Elle décrit son expérience (y compris avec la Fondation Hirondelle) dans l’évaluation de l’impact des programmes radio sur l’autonomisation des femmes dans les zones de crise.
Pendant des années, vos recherches ont porté sur les médias dans les zones de conflit. Selon vous, quels sont les besoins spécifiques des femmes vivant dans ces régions ?
Ce n’est un secret pour personne que les femmes sont souvent les plus touchées par les conflits. Leurs conjoints peuvent être activement impliqués dans le conflit ou être blessés ou tués, ce qui les laisse se débrouiller pour la famille dans des moments extrêmement difficiles, devenant souvent victimes de violence sexuelle ou autre. N’ayant pas le même statut que les hommes de nombreuses sociétés patriarcales et traditionnelles, les femmes se retrouvent sans soutien. Elles ne peuvent hériter de la succession de leur mari, étant elles-mêmes considérées comme des « biens », et sont forcées de retourner chez leurs propres parents… Elles sont parfois soumises à une inégalité généralisée entre les sexes dans des sociétés où prévalent la polygamie, la domination masculine, la violence domestique, la mutilation génitale féminine et la résistance au travail des femmes hors du foyer.
Pourtant, en tant que cheffes de familles et, dans de nombreux cas, en tant que parties prenantes importantes dans de nombreux aspects de la vie quotidienne, les femmes sont perçues comme une force de cohésion dans la société. Ces femmes font tout ; au Niger et au Mali, par exemple, où je travaille depuis quelque temps, ce sont elles qui vont chercher le bois, qui vont chercher l’eau, qui s’occupent des enfants et des hommes, qui préparent les repas, font la lessive et doivent souvent trouver une source de revenu, même minime, pour compléter le revenu familial. La liste de leurs tâches est interminable, mais leur force pour aller de l’avant l’est tout autant. En Cisjordanie sous occupation israélienne, où j’ai récemment mené un programme de recherche de 3 années, les femmes sont confrontées à des problèmes spécifiques sérieux tels que l’absence de leurs conjoints qui risquent d’être emprisonnés par l’armée d’occupation ou, le fait de n’apparaître que sous le nom de leurs maris ou frères sur les listes électorales lorsqu’elles sont candidates aux élections. Et pourtant, j’ai constaté qu’elles ont encore plus de capacité d’action qu’en Afrique de l’Ouest.
Ces femmes font preuve d’une résilience étonnante qu’il faut mettre à profit en leur donnant une plus grande voix dans la société. Pour ce faire et à un niveau plus fondamental, elles doivent être informées de leurs droits. Elles ont besoin d’être éduquées sur un pied d’égalité avec leurs homologues masculins. Elles ont besoin d’un accès égal à tous les niveaux de la société, que ce soit sur le plan politique, économique ou social. Elles ont besoin d’être valorisées. La société a besoin de les valoriser autant qu’elle semble valoriser les hommes.
Vous menez actuellement une étude sur l’influence de Studio Kalangou, le programme radiophonique de la Fondation Hirondelle au Niger, sur la promotion des droits des femmes nigériennes. Quelles sont les principales tendances de cette étude jusqu’à présent ?
En avril dernier, dans six localités du Niger, nous avons commencé une étude d’impact des programmes radiophoniques de Studio Kalangou, principalement des débats et des magazines, sur les droits et l’autonomisation des femmes. Cette étude est menée par le projet de recherche FemmepowermentAfrique basé à l’Université de Sheffield au Royaume-Uni.
Nous avons organisé une vingtaine de groupes de discussion avec une centaine d’auditeurs à Niamey et dans les environs, dont des femmes mariées, des femmes célibataires et des hommes. Nous avons essayé d’évaluer leurs connaissances, leurs perceptions et leurs comportements avant et après avoir écouté deux séries d’émissions sur les femmes diffusées par le Studio Kalangou. Les deux séries portaient sur les femmes, la politique et les élections, et le mariage des enfants. Nous avons également organisé des ateliers en marge des groupes de discussion pour recueillir les réactions des représentants de la société civile et des organisations des médias.
Les principales tendances de l’étude sont largement positives. Nous avons noté des changements de comportement chez la plupart des auditeurs et auditrices. Beaucoup ont déclaré qu’avant d’écouter les émissions, ils n’étaient pas certains de certaines questions, mais qu’ils avaient reçu des éclaircissements du Studio Kalangou après avoir écouté, en particulier ce qui concernaient la série sur la politique. Les auditrices ont également déclaré que les émissions les avaient encouragées à devenir plus actives sur le plan politique maintenant qu’elles en savaient plus sur la manière de le faire. D’une manière générale, l’information diffusée par le Studio Kalangou permet aux auditeurs/trices de discuter plus facilement de politique.
Cependant, il reste encore du travail à faire. Il faut encourager les jeunes à écouter davantage la radio. C’est un défi de taille pour le Studio Kalangou. Il y a aussi des différences éditoriales à prendre en compte ; souvent, l’information donnée aux auditeurs/trices ne correspond pas nécessairement à ce qu’ils/elles ont besoin de savoir et de comprendre. Un profilage plus ciblé est nécessaire.
Selon vous, les médias devraient-ils s’efforcer de s’adresser spécifiquement aux femmes dans les zones de crise ?
Les femmes jouent évidemment un rôle très important dans ces sociétés et elles ont un rôle majeur à jouer pour contribuer à la paix et la garantir, en particulier au niveau local. Toutefois, pour faire entendre la voix des femmes et promouvoir leurs droits et leur autonomisation, les programmes doivent également s’adresser aux hommes. Ce sont les hommes qui contrôlent les femmes. Les femmes doivent être encouragées à se battre et à se défendre, mais elles ne pourront le faire qu’avec l’appui des hommes. Il faut aussi noter que les « femmes » ne forment pas un groupe homogène. Certaines femmes ont un pouvoir d’action considérable et il faut en faire des exemples. De même, dans de nombreux cas, ce sont les femmes de la famille élargie qui contrôlent les jeunes femmes. Nous ne devons pas tomber dans le piège consistant à considérer toutes les femmes comme étant les mêmes, ayant le même pouvoir les unes sur les autres ou ayant la même liberté d’action que les autres. Néanmoins, fournir des informations exactes et indépendantes sur les femmes, leurs droits et les moyens de promouvoir ces droits ne peut que contribuer à leur autonomisation. Ces informations, sous quelque forme que ce soit dans les médias, doivent être exemptes de stéréotypes négatifs à l’égard des femmes. Elles doivent donner une voix égale aux hommes et aux femmes qui y participent et promouvoir ainsi une plus grande égalité des sexes dans la société.
Article issu de notre publication semestrielle Médiation Nº3 Juillet 2019 "Médias: le temps des femmes", page 2 "Entretien"