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Interview de l'avocat Reed Brody, qui poursuit désormais l'ex-dictateur de Gambie

Avocat des droits de l’homme, Reed Brody s’était fait connaître par son soutien auprès des victimes du général Pinochet et de l’ex-dictateur de Haïti, surnommé « Baby doc », Jean-Claude Duvalier. Plus récemment, Reed Brody avait été le conseil des victimes de l’ex-tyran tchadien, Hissène Habré, lesquels finirent par le faire condamner à perpétuité par les Chambres africaines extraordinaires, après une interminable traque. Aujourd’hui, de retour à Human Rights Watch après une courte parenthèse de quelques mois, Reed Brody prête son concours aux victimes gambiennes de Yahya Jammeh pour poursuivre en justice l’ex-dictateur fantasque de Gambie. Reed Brody répond aux questions de JusticeInfo.net, le média en ligne créé par la Fondation Hirondelle sur les questions de justice et de réconciliation.

JusticeInfo.net : Pourquoi vous intéressez-vous à l’ex-président de Gambie, Yahya Jammeh, alors que vous avez un président américain qui pourrait faire l’objet de votre attention ?

Reed Brody : C’est vrai qu’aux Etats-Unis, nous avons à la Maison-Blanche un apprenti dictateur. Nous devons tout entreprendre pour qu’il ne devienne pas un jour un vrai dictateur. Pour ma part, je participe à la résistance et aux manifestations contre des mesures liberticides. J’écris des tribunes.  Comme avocat, j’ai récemment défendu une journaliste arrêtée au Dakota du Nord pour couvrir des violences policières contre des manifestants autochtones.

La liste des dictateurs et des criminels de guerre est pratiquement interminable. Pourquoi vous lancez-vous dans la défense des victimes de Yahya Jammeh ?  

C’est le fruit des circonstances. A Dakar pour le verdict dans l’affaire Habré, j’avais organisé à Banjul voisin une réunion entre les victimes de Hissène Habré et celles de Yahya Jammeh. La détermination des victimes tchadiennes et leur victoire, en dépit de tous les obstacles qu’elles ont rencontrés, ont motivé les victimes gambiennes. Il y a évidemment des différences, mais aussi des similitudes – notamment deux despotes africains qui s’étaient réfugiés dans un autre pays d’Afrique.  La réunion s’est close sur l’idée d’un plan d’action dans le but que les victimes de Yahya Jammeh obtiennent justice. A partir de là, nous avons cherché un soutien financier pour aider l’Association des victimes gambiennes à s’organiser et à bâtir un acte d’accusation contre Jammeh.

Que pensez-vous du projet de Commission vérité et réconciliation, dont le principe a été proposé par les autorités gambiennes ?

C’est une excellente idée y compris pour des éventuelles poursuites. D’abord, nous commençons seulement à découvrir les crimes de Jammeh. Pendant 22 ans, il régnait un silence absolu sur ces méfaits. Ce n’est que maintenant que beaucoup de victimes se font connaître et parlent publiquement pour la première fois. Nous en savons beaucoup plus qu’il y a six mois et dans un an, nous aurons un tableau bien plus complet de ses exactions. Jammeh ciblait les opposants, les journalistes, les étudiants, mais nous découvrons aussi des pratiques de travail forcé et de sévices sexuels. Une Commission vérité et réconciliation nous donnera une cartographie de ses crimes. Le ministre de la justice sillonne le pays avec la société civile en ce moment pour consulter les populations sur la Commission. Il s’est du reste récemment rendu au Sierra Leone et en Afrique du Sud pour s’inspirer des différents modèles de Commissions vérité. Au bout du compte, la vérité doit conduire à la justice. Elle ne peut se substituer à elle.

Allez-vous vous intéresser à la fortune apparemment colossale de l’ex-dictateur ?

C’est la priorité des autorités gambiennes. En Gambie même, ses biens ont été gelés. Ils possédaient des fermes, des centaines de magasins, des terres. En revanche, la recherche de ses avoirs à l’étranger sera plus compliquée. Avec nos partenaires des ONGs, nous avons proposé nos services pour aider les autorités à mettre la main sur l’argent qui a été volé au peuple gambien.

Quelles sont vos priorités ?

C’est d’aider les victimes à s’organiser, à enregistrer les plaintes, à faire entendre leur voix dans l’espace public et à participer pleinement au processus de justice transitionnelle que les autorités sont en train de mettre sur pied.

Yahya Jammeh s’est réfugié en Guinée Equatoriale. Avez-vous pris contact avec les autorités ? Pensez-vous qu’il sera facilement extradable ?

Non, pas encore. Evidemment, Jammeh a choisi de se rendre en Guinée Equatoriale car il se sent protégé. Mais nous avons démontré dans l’affaire Habré que quand les victimes racontent leur souffrance, ils peuvent créer les conditions politiques, y compris dans les pays africains, pour poursuivre un ancien chef d’Etat. Nous travaillons avec les organisations de la société civile en Guinée Equatoriale. Ils ont le sentiment, qu’avec leur président Teodoro Obiang Nguema, leur autocrate depuis 1979, ils ont deux dictateurs pour le prix d’un seul !

Souhaitez-vous que Yahya Jammeh soit jugé demain en Gambie ?

Je suis évidemment favorable que l’ex-dictateur soit jugé dans son pays. C’est en Gambie que le futur procès doit avoir lieu pour satisfaire les intérêts des victimes et de la société gambienne, et non à la Haye et non par un procureur et des juges qui n’ont pas des comptes à rendre au peuple gambien. Du reste, la Cour pénale internationale a signalé qu’elle n’avait pas l’intention de le poursuivre. Ceci dit, pour des questions politiques, sécuritaires et juridiques, la Gambie n’est pas encore prête pour le juger. Ce serait une distraction, voire une déstabilisation, car Jammeh a  encore des partisans. Le pays est en pleine transformation politique. La priorité est à la transition démocratique et à la réforme de l’institution judiciaire pour qu’un procès équitable puisse se dérouler.