L'écosystème de l'information en RDC est fragmenté et fragile. Il se caractérise par un grand nombre de médias, mais leur niveau de professionnalisme est faible et leur vulnérabilité face à la récupération partisane est élevée. Cette fragilité est reproduite dans l'espace numérique. Pour mieux relever ces défis, il est nécessaire de comprendre les principales sources et la dynamique des flux d'information, à la fois hors ligne et en ligne, et par le biais des médias et d'autres moyens. Un consortium composé de la Fondation Hirondelle (FH), Demos, Harvard Humanitarian Initiative (HHI) et l'Institut Congolais de Recherche en Développement et Etudes Stratégiques (ICREDES) a été créé afin de fournir une vision plus globale de l'écosystème de l'information congolais et d'identifier les opportunités d'entrée. Cette étude a été réalisée en 2018/2019. Vous pouvez télécharger le rapport complet en cliquant sur le lien ci-dessus et lire le résumé ci-dessous.
La population congolaise compte beaucoup sur les sources informelles d'information telles que le bouche à oreille, la communication interpersonnelle avec la famille et les amis. La rareté des informations fiables ouvre la voie à la propagation des rumeurs et à la désinformation. Ce contexte pose de sérieux défis pour la promotion d'une bonne gouvernance et des responsabilités qu'exigent des citoyens bien informés.
MÉTHODOLOGIE
En raison du temps et des ressources limitées de l'étude et des réseaux et capacités préexistants du consortium dans cette région, elle se concentre sur le Nord-Kivu. Pour identifier les voix, les réseaux et les thèmes qui dominaient cet écosystème de l'information dans cette région, trois niveaux d'analyse ont été choisis :
1. Les sources et le niveau d'information des populations locales. Cette analyse a été fournie par HHI qui a mis en œuvre des enquêtes auprès des ménages sur de larges échantillons de populations dans l'Est de la RDC ;
2. Les sources d'information des journalistes locaux. Cette analyse a été fournie par FH qui a enquêté sur un réseau de 18 radios locales au Nord-Kivu ;
3. Le réseau et l'analyse du contenu des médias numériques et sociaux fournis par DEMOS.
Chaque niveau d'analyse a été étudié au moyen de trois études de cas portant sur des contextes distincts :
- deux portant sur un thème politique (l'annonce de Kabila le 8 août 2018 et les élections présidentielles du 30 décembre 2018) ; et,
- la troisième sur l'épidémie d'Ebola déclarée le 1er août 2018.
Les résultats sont basés sur près de 14'000 interviews menées sur le terrain par les équipes de HHI, 50 interviews approfondies recueillies en ligne de 18 représentants de stations de radio locales à travers le Nord-Kivu, et sur plus de 650'000 tweets.
et 80'00 messages sur WhatsApp analysés par Demos. L'ICREDES a contribué à mieux contextualiser les résultats.
CONCLUSIONS.
Population :
- La radio est la principale source d'information de la population de l'Est de la RDC (78 % de l'échantillon l'écoute occasionnellement et 43 % quotidiennement), suivie de la télévision (31 % occasionnellement) et de la presse écrite (19 % occasionnellement). L'accès aux ressources en ligne est limité (26 % occasionnellement et 8 % quotidiennement).
- Les principales sources d'information dépendent du contexte et de la nature de l'information recherchée. Les radios nationales et locales sont les plus utilisées pour les sujets à orientation politique nationale. Pour Ebola, les participants comptent davantage sur leur famille proche et leurs amis.
- Les problèmes de confiance et la désinformation sont répandus. Le niveau de confiance concernant les informations sur Ebola est plus élevé là où la connaissance de l'épidémie est également la plus élevée. Les résultats soulignent le manque de fiabilité des sources d'information (46 % des répondants ont exprimé un niveau de confiance modéré à élevé dans la radio locale et 39 % dans la radio nationale).
- L'accès à l'information est très différent selon le sexe. L'accès aux ressources médiatiques et le niveau de confiance dans les médias sont caractérisés par l'inégalité entre les sexes. Les femmes sont moins susceptibles que les hommes de se fier à la radio comme source d'information, ce qui reflète leur utilisation moins fréquente de ce média. elles sont également plus susceptibles de croire aux rumeurs concernant Ebola que les hommes.
Les radios locales :
- Les stations de radio locales tirent principalement leurs informations des autres stations de radio locales, nationales et internationales, et aussi des médias sociaux.
- La source d'information choisie par les journalistes locaux dépend de l'ampleur du problème. Pour Ebola (émission locale), les médias les plus utilisés étaient les stations de radio locales, tandis que pour les élections présidentielles (émission nationale), il s'agissait avant tout des stations de radio nationales.
- Les journalistes locaux interrogés s'accordent sur les radios de référence au niveau national et international (Radio Okapi, Top Congo, RFI). Nos données n'ont pas permis d'identifier les principales radios de référence au niveau local.
- Les réseaux sociaux sont largement utilisés par les journalistes locaux comme sources d'information (beaucoup plus que le reste de la population locale qui a un accès limité aux médias sociaux). Le réseau social le plus utilisé est Facebook, suivi de Twitter. L'utilisation des réseaux sociaux se caractérise par une grande diversité dans les pages ou les profils consultés, tous sujets confondus.
Les médias sociaux :
- Facebook est le réseau social le plus utilisé par la population de la RDC, suivi dans une moindre mesure par Twitter. WhatsApp est le service de messagerie en ligne le plus utilisé.
- La nature et la portée de l'activité en ligne varient selon les médias sociaux utilisés. Les sites web et les opinions les plus partagés sur WhatsApp ont une portée plus locale que ceux partagés sur Twitter. Les données indiquent également que WhatsApp est plutôt utilisé par la communauté au niveau local pour l'information sur les processus quotidiens.
- Les médias sociaux jouent un rôle important dans la propagation de fausses rumeurs. Une proportion importante des messages Twitter analysés mentionnent des rumeurs, des théories de conspiration ou de la désinformation. Sur les groupes WhatsApp, le mélange d'informations, d'opinions, de rumeurs et de désinformation rend difficile la distinction entre faits et fiction.
RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES
- Au niveau local : investir davantage de ressources dans la cartographie et la surveillance des radios locales afin d'identifier un groupe central de radios locales influentes et fiables pour a) communiquer directement avec la population locale, notamment par des messages et des programmes consacrés aux questions de gouvernance et de responsabilité, et b) renforcer la capacité générale des journalistes locaux à rechercher, vérifier et partager - hors ligne et en ligne - des informations fiables et des programmes de dialogue équilibrés sur les causes profondes des rumeurs et des principaux griefs.
- Au niveau national : Radio Okapi se distingue comme une source d'information majeure - en ligne et hors ligne - pour les journalistes locaux. Dans le cadre de l'examen stratégique de la MONUSCO, préconiser et appuyer l'élaboration d'une stratégie de transition adéquate pour maintenir la fonction de Radio Okapi en tant que radiodiffuseur de service public national au-delà du mandat de la MONUSCO.
- Soutenir la capacité des organisations locales de la société civile et des journalistes à cartographier et à surveiller les personnalités numériques influentes - tweeters politiques, journalistes, blogueurs et autres utilisateurs susceptibles d'être utiles pour s'engager sur les questions de gouvernance et de responsabilité - et soutenir un groupe central d'OSC et de journalistes par des formations et des outils pour les aider à reconnaître et à combattre la désinformation qui circule sur les médias sociaux.
- Soutenir l'intégration de l'éducation aux médias et à l'information dans les programmes éducatifs destinés à l'ensemble de la population.