Depuis le début des années 2010, les violences, armées ou non, se modifient et trouvent un relais protéiforme sur les réseaux sociaux. Les journalistes doivent redoubler de prudence et d’ingéniosité pour en rendre compte sans les attiser. A lire dans le septième numéro de notre publication semestrielle, "Médiation", à feuilleter ou télécharger ci-dessus, avec des interviews et témoignages de journalistes et chercheurs, des chiffres et des cartes pour nourrir la réflexion, et donner des pistes d'action.
Dans un monde où la quantité d’informations diffusées augmente chaque année de manière exponentielle, générant une bataille féroce pour capter l’attention du public, il peut être tentant pour les médias de représenter massivement la violence. Ceci, non parce que ses occurrences sont particulièrement en hausse. La violence armée n’est responsable que d’un pour cent des décès dans le monde, dont à peine un quart dans le cadre de conflits. De plus, nous a appris il y a déjà dix ans le sociologue canadien Steven Pinker[1], la violence armée décline globalement sur le long terme, même si on en constate une légère recrudescence depuis le début des années 2010. Mais la conflictualité fait partie des invariants au cœur de l’attention humaine, constate le sociologue Gérald Bronner dans un essai passionnant sur l’économie d’Internet et des réseaux sociaux[2]. Diffuser des contenus violents, ou qui attisent la violence, peut ainsi permettre de capter l’attention du public. Certains médias, et les réseaux sociaux, utilisent ce biais pour générer de l’audience, ou des « clics ».
Or le rôle des journalistes, et des médias d’information, est aussi de traiter de la violence. Conflits, guerres, terrorisme et violences extrêmes, violences contre les minorités… : la violence change de forme ces dernières années. A côté des conflits classiques entre Etats ou groupes politico-militaires (Afghanistan, Syrie, Yémen…) se développent des guerres particulièrement meurtrières impliquant des groupes mafieux (Amérique latine) ou des attaques sporadiques mais répétées contre des civils sur un vaste territoire (Afrique de l’Ouest). Dans tous ces conflits, l’information est un enjeu majeur. Les parties en conflit se saisissent désormais des réseaux sociaux, tant pour émettre leur propagande que pour encourager la publication d’informations fausses destinées à maintenir la population dans un climat d’incertitude et de peur. Elles ont tendance à écarter voire à viser les journalistes, notamment locaux, dont une soixantaine sont tués chaque année dans le cadre de leurs fonctions.
Dans ce terrain peu sûr, et très mouvant, les techniques journalistiques et les mesures de prudence sont à réinventer, afin de réaliser des reportages équilibrés sur la violence sans contribuer à la propager. L’usage des nouvelles technologies, et notamment les renseignements d’origine source ouverte (OSINT en anglais) puisant sur Internet et les réseaux sociaux, peut y aider. Et plus encore une démarche visant à faire entendre la voix des victimes, mais aussi la complexité de la violence dans ses causes profondes et dans sa durée. Voire à tenter de faire dialoguer des parties prenantes, dans un acte performatif où le journalisme traite autant de la violence qu’il contribue à la diminuer.
Par l’information, faire reculer la peur
Créée suite au génocide rwandais, la Fondation Hirondelle a choisi de travailler à travers le journalisme et le soutien aux médias dans des pays fragilisés et meurtris par les conflits. Par une information fiable et de proximité, nous nous efforçons de faire reculer la peur, les rumeurs, et les réponses violentes aux crises. Il s’agit aussi de contribuer à (re)créer la possibilité du dialogue, un espace médiatique non violent, construit sur la base de faits et de réalités partagés.
Par deux fois, des armes ont fait taire nos médias : à Bukavu en 1996 lors du départ des troupes de Laurent-Désiré Kabila vers Kinshasa, et à Monrovia en 2000 sur ordre de l’armée de Charles Taylor. La violence demeure hélas le quotidien de millions de nos auditeurs.trices aujourd’hui en RDC, au Sahel, en RCA, au Myanmar. La traiter est donc au cœur de notre travail. Cela exige rigueur et irréprochabilité à nos rédactions, mais aussi courage de la part de toutes et tous, face aux risques. La qualité des informations produites, leur enracinement local et leur représentativité, accompagnés de formations sur le journalisme en zones de crise et en sécurité sont essentiels. De même que la transparence et le dialogue pour expliquer notre travail et le faire accepter par toutes les parties.
[1] Steven Pinker, “The Better angels of our nature – Why violence has declined” (Viking Books, 2011).
[2] Gérald Bronner, Apocalypse cognitive (PUF, 2021).
Lire ou télécharger l'intégralité de Médiation n°7, "Les médias face à la violence"