Directrice de Radio Ndeke Luka, Sylvie Panika analyse les raisons de la confiance qu’inspire ce média de la Fondation Hirondelle, devenu en dix sept ans la référence journalistique en République centrafricaine.
La République centrafricaine (RCA) connaît depuis une vingtaine d’années des épisodes conflictuels réguliers. Quels sont les besoins en information exprimés par la population ?
Sylvie Panika : Dans ce contexte de violences récurrentes, la principale préoccupation des habitants est de savoir ce qui est fait par le gouvernement et par d’autres acteurs pour leur apporter protection et sécurité d’une part, aide humanitaire (santé, alimentation, éducation) d’autre part. Et ce, notamment pour les centaines de milliers de déplacés qui ont dû fuir les violences.
Comment les journalistes de Radio Ndeke Luka (RNL) traitent-ils la réalité du conflit ?
Nous nous en tenons à quelques règles de déontologie journalistique bien connues comme la primauté de l’établissement des faits, la multiplicité des sources, la vérification de l’information, l’absence de commentaires. Ces règles découlent de principes édictés dans la Charte de Radio Ndeke Luka – neutralité, impartialité, équilibre… -, laquelle a été déclinée de façon plus précise pour les périodes électorales. Dans le contexte polarisé que la République centrafricaine traverse chroniquement, où les acteurs des conflits tentent d’imposer leur propre récit, nous sommes particulièrement attentifs à la multiplicité des sources : gouvernement via les préfets, groupes rebelles via leurs leaders militaires et leurs porte-parole, ONG, Minusca (Mission des Nations unies en RCA), sont les principales sources officielles de notre réseau de correspondants répartis dans l’ensemble du pays. Mais notre source essentielle, plus informelle, c’est la population.
Comment qualifieriez-vous la valeur ajoutée de l’information produite et diffusée par RNL ?
Dans ce contexte de violences, il me semble que notre travail se fonde beaucoup sur la qualité des relations que nous entretenons avec l’ensemble des sources d’information. Il en va de même avec la population : nos journalistes sont des Centrafricains habitant également en zones en conflit, ils sont soumis au stress, ils sont parfois eux-mêmes victimes de violences. Cela crée une empathie avec les gens qui viennent les voir pour leur parler spontanément. Du coup, même si RNL diffuse sur l’ensemble du territoire, elle est perçue comme une radio de proximité. Cela contribue certainement à notre audience – RNL est la radio la plus écoutée en RCA – autant qu’à notre réputation scellée par l’adage désormais populaire dans le pays : « Si Radio Ndeke Luka le dit, c’est vrai ».
Pouvez-vous nous donner des exemples de l’utilité de l’information factuelle pour la population de votre pays aujourd’hui ?
Deux exemples me reviennent. En avril 2015, un incendie accidentel a été provoqué dans le camp d’accueil de déplacés de Bambari (centre-est de la République centrafricaine) par un enfant qui avait allumé un feu pour préparer le repas familial. L’incendie s’est rapidement propagé à travers les maisons en paille de ce camp qui rassemblait 600 personnes, se soldant par près de 180 blessés et d’importants dégâts matériels. Mais ce bilan aurait pu être bien plus lourd si des habitants du camp n’avaient pas informé immédiatement RNL, dont le bulletin radiophonique a permis l’intervention rapide du gouvernement et de la Minusca pour éteindre le feu, soigner les blessés, offrir des bâches et des vivres aux populations affectées.
Un an plus tard, une épidémie de choléra s’est déclarée dans un village de la commune de Ndjoukou près de la frontière congolaise à 100 km au nord-est de Bangui. Nous ne disposons pas de correspondant dans la localité. C’est un prêtre qui nous a signalé des cas de personnes mortes de façon identique. Dix-neuf cas ont été recensés, dont une dizaine se sont révélés mortels. Là encore, la diffusion de la nouvelle par RNL a permis à l’information de circuler en direct, ce qui a eu pour conséquences une intervention efficace de l’OMS et du gouvernement qui ont pris les mesures pour mettre un terme à l’épidémie.
Cette interview est publiée dans le n°51 de notre newsletter "Quoi de Neuf", "Le journalisme à l'épreuve des faits" : http://hirondelle.org/index.php/fr/documents/nos-publications/newsletters/2060-le-journalisme-a-l-epreuve-des-faits