Entretien avec Oleksiy Soldatenko, directeur des programmes à l’International Institute for Regional Media and Information (IRMI), ONG ukrainienne, partenaire de la Fondation Hirondelle.
Quels sont les défis auxquels les journalistes ukrainiens sont confrontés ?
Oleksiy Soldatenko : Environ 80 journalistes ukrainiens ont été tués lors de ce conflit et environ 30 rédactions régionales ont été détruites. Notre projet apporte un soutien à différents niveaux à plus de 20 médias régionaux, dont la plupart se trouvent sur la ligne de front ou dans des territoires temporairement occupés. Rien que le mois dernier, deux d'entre eux ont perdu leurs locaux à la suite de bombardements russes : Vorskla de Velyka Pysarivka (région de Soumy) et Trudova Slava d'Orikhiv (région de Zaporijia). Le manque de ressources humaines est un autre défi auquel les médias ukrainiens sont confrontés. Environ 50 % des médias déclarent manquer de journalistes reporters en raison des déplacements forcés causés par les bombardements de l'armée russe et les règles de mobilisation en Ukraine. La préservation des médias locaux est essentielle, étant en première ligne dans les territoires occupés. Pour de nombreux Ukrainiens, les médias locaux sont la seule source d'information à laquelle ils ont accès pour pouvoir survivre, ne pouvant pas obtenir ces informations de médias nationaux. Sans soutien international, ces médias ne pourraient pas survivre actuellement avec leurs capacités en personnel et en équipements.
Un autre défi est de se reconnecter avec ceux et celles qui ont dû fuir. Les citoyens déplacés en Ukraine se tournent vers les plateformes en ligne pour trouver des informations et rester connectés. C'est pourquoi nous renforçons la numérisation des médias. Beaucoup de médias avec lesquels nous travaillons n'avaient, au départ, qu'une version imprimée. Désormais, ils ont tous leur version web, et vous pouvez également les trouver sur les réseaux sociaux. Ainsi, dans le cadre du programme "Soutenir la résilience des médias ukrainiens", des dizaines de médias de l'est et du sud du pays ont été équipés et formés au journalisme mobile. L'utilisation du smartphone comme outil de production est devenue cruciale dans ce pays déchiré par la guerre.
De quel type d'information la population a-t-elle besoin ?
Les informations dont les populations ont besoin aujourd’hui sont celles relatives à leur sécurité, celles qui sauveront leur vie. Les médias régionaux et locaux sont particulièrement importants dans ces circonstances. Les médias locaux traitent de l'aide humanitaire, des évacuations, des transports et d'autres questions importantes pour les populations locales. Les informations que les gens obtiennent de différentes sources, y compris parfois les informations provenant des responsables publics, peuvent les désorienter. Ils ont besoin de sources fiables, qui ont été vérifiées. Les médias régionaux et locaux les aident à organiser leurs actions et à planifier leur avenir. En fournissant des informations précises et équilibrées, les médias locaux peuvent contribuer à promouvoir la cohésion sociale. Selon les derniers résultats des groupes de discussion que nous avons menés dans le pays, les Ukrainiens sont également à la recherche d’histoires plus positives et humaines pour rester résilients et garder foi en la société. Après plus de deux ans de vie dans un contexte de guerre, il est normal que les Ukrainiens soient psychologiquement bouleversés. Nous formons nos partenaires médiatiques sur la manière dont ils peuvent atteindre les besoins de leur public et transformer ces connaissances en contenu.
Qui définit ce qui est de la propagande, de la contre-propagande et de la désinformation ?
D’après mes observations, la plupart du temps, les crises – telles que la guerre – sont les meilleurs formateurs en matière d’éducation aux médias. Lorsque votre vie dépend de la qualité des informations que vous recevez, vous devenez plus sélectif et exigeant. Nous devrions faire davantage confiance à nos lecteurs et à nos auditeurs. Ils sont tout à fait conscients des informations partiales qui tentent de les influencer. Ils recherchent des informations pertinentes et équilibrées. La confiance est essentielle à la survie de ces médias. C'est pourquoi nos partenaires médiatiques participent au processus de certification du Journalist Trust Initiative (JTI). Je suis très reconnaissant à nos partenaires internationaux pour ce soutien important. Nous savons comment cet argent a été collecté, principalement grâce à la solidarité de la population suisse à travers la Chaîne du Bonheur (et des fondations privées suisses*). Nous en sommes reconnaissants et faisons preuve de responsabilité dans la façon dont nous le dépensons en Ukraine.
* Fondazione aiuto alla cooperazione e allo sviluppo, Fondation Jan Michalski, Fondation Philanthropique Famille Sandoz, Fondation Genevoise de Bienfaisance Valeria Rossi di Montelera.