Fondation Hirondelle      +41 21 654 20 20

Notre actualité

"J'AI DÛ FUIR SIX FOIS EN TROIS MOIS"

"J'AI DÛ FUIR SIX FOIS EN TROIS MOIS"

Journaliste palestino-égyptienne, Youmna El Sayed est la correspondante d’Al Jazeera English à Gaza. En exil au Caire depuis janvier, elle raconte les dangers qu'elle a dû affronter en tant que reporter et mère de famille dans un conflit très meurtrier pour les civils, et comment elle tente de s’en remettre.

« Je vivais à Gaza avec mon mari et nos quatre enfants âgés de 12, 11, 8 et 5 ans. Lorsque la guerre a éclaté début octobre, les bombardements ont été indiscriminés, nous ne savions pas où nous mettre à l’abri. En tant que journalistes, nous avons été attaqué·e·s par les forces israéliennes, qui voulaient nous faire taire. Nos bureaux, nos maisons et nos quartiers ont été la cible de frappes directes. En trois mois, j'ai dû fuir six fois avec ma famille. Après avoir évacué vers le sud de Wadi Gaza au début de la guerre, nous avons décidé de retourner à notre appartement dans la ville de Gaza : nous manquions d'eau et d'électricité dans le sud et, si nous devions mourir, au moins que cela soit dignement. Une autre fois, nous avons dû fuir vers Khan Younes en marchant 6 à 7 km avec mes enfants, au milieu des fusillades et entre les corps de familles entières tuées, gisant encore au sol. Et lorsque nous sommes arrivés à Rafah, l'hiver commençait, il n'y avait plus de vêtements chauds à acheter, mon plus jeune enfant avait froid.

Finalement, grâce à mon père qui pouvait exercer des pressions en Egypte et payer beaucoup d'argent, nous avons réussi à être évacués vers Le Caire.

Aujourd’hui, j'essaie de récupérer physiquement et mentalement. Je suis toujours en poste à Al Jazeera, qui me laisse le temps de me reposer. Mais je ne peux pas faire de reportages, car Al Jazeera n'a pas de licence pour travailler en Égypte. Ma situation et mon avenir sont très incertains. Toute la bande de Gaza a été détruite et est devenue invivable : il n'y a plus de routes, plus d'hôpitaux, plus d'écoles. Après avoir perdu une année entière, mes enfants ne savent toujours pas s'ils pourront aller à l'école en Égypte ou ailleurs en septembre. Par-dessus tout, j'essaie de surmonter ma culpabilité d’avoir survécu. J'ai fait de mon mieux pour rendre compte de ce qui se passait à Gaza mais, à un moment donné, j'ai décidé de partir en tant que mère, pour sauver mes enfants. Maintenant, c’est important pour moi de témoigner, de donner des conférences et des interviews, pour sensibiliser le monde entier sur la situation à Gaza. Beaucoup de mes collègues travaillent encore dans la bande de Gaza, ils ont dû à nouveau se déplacer vers l'hôpital Al Aqsa au centre du territoire après avoir reçu l'ordre d'évacuer Rafah. Ils continuent de travailler, dans des conditions désastreuses et avec le minimum pour vivre. »

Cet extrait est tiré du 13ème numéro du Médiation nommé "Structurer le journalisme en exil dans un monde plus autoritaire", que vous retrouverez ici