Confrontés à une crise de confiance majeure depuis le début des années 2010, les médias multiplient les initiatives pour tenter de renouer avec leur public. Jusqu’à leur donner un véritable rôle dans la production de l’information.
Historiquement basse depuis une dizaine d’années, la confiance mondiale envers les médias traditionnels s’est encore érodée en 2021, deuxième année du Covid, pour s’établir à la valeur plancher de 53 % . Inférieure à 40 % dans certains pays de grande tradition journalistique comme le Royaume-Uni, la France ou le Japon, la confiance dans les médias ne dépasse pas 44 % dans de grands pays du Sud comme le Nigeria. « Défiance à leur égard, essor des ‘‘fake news’’, chute de la diffusion, concentration accrue du secteur, ou encore concurrence des plateformes : les médias font face à une crise profonde qui les fragilise et affecte leur développement », remarquent Nathalie Pignard-Cheynel, David Gerber et Laura Amigo, professeurs de journalisme à l’Université de Neuchâtel (Suisse). Pour survivre ou, mieux, se développer à nouveau, « les médias ont pris conscience qu’ils doivent impérativement renouer avec leurs utilisateurs ».
Le projet de recherche LINC (Local, News, Innovation, Communauté), que ces professeurs coordonnent, recense depuis trois ans plus de 550 initiatives prises par des médias locaux en Europe francophone pour rétablir un lien de proximité et de confiance avec leurs publics. Il dresse une base de données de ces initiatives, allant d’une observation accrue par les lecteurs du processus éditorial à une véritable co-création avec eux de certaines enquêtes journalistiques. Enjeu : passer d’une logique verticale traditionnelle d’audience à une logique plus horizontale d’engagement, où les publics font davantage confiance à l’information qu’ils consultent car ils sont davantage associés à son élaboration. Dès lors, ils sont également plus enclins à participer financièrement à la production de cette information.
Le projet LINC n’est pas isolé. Les écrits de l’universitaire Jake Batsell sur le « journalisme d’engagement » dès 2015 aux Etats-Unis, les études de cas de médias européens par l’Engaged Journalism Accelerator basé à Maastricht (Pays-Bas), les consultations menées conjointement en France par des sociétés technologiques et des médias locaux, les recherches du Membership Puzzle Project (New York) sur les médias visant à faire de leurs lecteurs·rice·s de véritables adhérent·e·s économiquement parties prenantes d’une communauté… Des travaux qui font écho aux préoccupations de la Fondation Hirondelle qui, depuis sa création en 1995, n’a eu de cesse de renouveler sur chacun de ses terrains d’intervention le lien de proximité et d’utilité qu’elle entretient avec des populations confrontées à des crises.
La confiance : une histoire de lien
Les médias sont des intermédiaires, des créateurs de lien. Mais ce lien n’est pas facile à construire, y compris avec l’avènement des médias audiovisuels et des plateformes digitales. Il faut un cadre, une éthique pour créer de la confiance et du respect mutuel entre émetteurs et récepteurs, pour que les informations soient effectivement fiables, utiles, comprises et crues. En zones de crises et en période de tensions, ce lien est d’autant plus important et doit s’ancrer dans une proximité entre le média, ses journalistes, et leurs publics. Cette proximité s’illustre par le choix des sujets et la manière de traiter des informations proches des préoccupations des gens, dans une langue compréhensible. Le lien de proximité se matérialise aussi dans des espaces d’expression et de paroles inclusifs et responsables, ouverts à des populations qui n’ont pas d’autres moyens d’exprimer publiquement leurs besoins et leurs opinions.
Depuis plus de 26 ans, cette proximité organique et horizontale entre les médias de la Fondation Hirondelle et leurs publics a permis de faire face aux clivages qui fracturent les pays dans lesquels nous travaillons et de recréer des liens, des espaces de confiance au sein de sociétés fragilisées.