Ariane Hasler, journaliste suisse, correspondante à Paris pour la RTS (Radio Télévision Suisse), a récemment animé pour la Fondation Hirondelle des formations à distance pour les journalistes de Radio Ndeke Luka à Bangui, et du Studio Hirondelle RDC à Kinshasa. Elle tire les leçons de ces "télé-formations" imposées par la pandémie de Covid.
Quel était le profil des participants à ces formations, et combien de personnes ont suivi ces séances ?
Ariane Hasler : En Centrafrique, en tout plus d’une quinzaine de personnes, animateurs et journalistes confondus. A Kinshasa, en République Démocratique du Congo, il s’agissait de trois journalistes qui composent la rédaction de « base » et qui travaillent avec des correspondants dans tout le pays. Dans les deux formations les profils étaient divers, entre de jeunes journalistes qui débutent dans le métier et d’autres plus âgés qui ont plus d’expérience, dans les deux cas une majorité d’hommes mais aussi des femmes. Un point commun chez tous les participants : une vraie envie d’apprendre et de parler de leur métier. Avec au final des échanges très riches et une vitesse d’absorption réellement « bluffante » dans certains cas.
Comment avez-vous organisé le programme de ces formations à distances ?
Pour la Fondation Hirondelle et pour moi la formation à distance était une première lorsqu’elle a été mise en place en Centrafrique. Nous avons travaillé en petits groupes (maximum 4) à raison de deux groupes de deux heures par jour, soit 4 heures en tout, avec des exercices pratiques à rendre le lendemain, le tout sur 15 jours. Un rythme intense, surtout quand la connexion coupe à tout bout de champ et qu’à Bangui, le générateur nous lâchait parfois, coupant carrément la session !
Quels sujets et exercices avez-vous pu traiter ?
Mon pan de la formation consistait à revenir sur les techniques de base de l’animation et du journalisme. La première question était la même pour tous les groupes : quels sont vos difficultés au quotidien ? avec une première session consacrée à l’écoute collective de certains de leurs sujets. Je crois beaucoup aux vertus de l’écoute et du débriefing collectif. Les participants apprennent à s’écouter et à se donner des conseils. Par ailleurs rien de tel que de faire écouter un de ses sujets à quelqu’un d’autre pour en repérer soi-même déjà en partie les défauts ! Nous avons abordé l’interview, le reportage, le portrait, la construction d’une émission. Nous avons aussi décortiqué ensemble des exemples d’interview ou de reportage d’autres radios.
Cette première expérience nous a permis de constater avec la Fondation Hirondelle que l’exercice à distance requière une immense concentration de la part du ou de la formateur/ trice et des participants, sachant par ailleurs que leur travail quotidien ne s’arrête pas pendant la formation et que les journées sont très remplies pour eux. Pour le Congo, nous sommes donc passés à un rythme plus « gérable » en terme d’énergie et de concentration : deux heures le matin avec exercices pratiques l’après-midi. L’expérience centrafricaine m’a indéniablement permis d’être plus efficace pour ce deuxième round notamment sur les questions logistiques. Durant 6 jours, nous avons abordé la construction d’un bulletin d’information de trois minutes, les questions d’écriture et le reportage. Avec une vraie progression, audible à l’oreille nue !
Former des journalistes à distance, dans des pays où les connexions sont souvent difficiles et les problèmes logistiques quotidiens, c’est un vrai défi. Comment avez-vous réussi à surmonter la distance et les difficultés ?
Par le rire ! Quand on se demande 25 fois parmi « vous m’entendez ? tu peux répéter ? j’ai pas compris ? » à un moment on est obligé d’en rire si on ne veut pas s’arracher les cheveux !
Je rigole, mais évidemment la Fondation a anticipé autant que possible ces problèmes : sur place, à Bangui comme à Kinshasa, un technicien de la rédaction assistait aux formations et s’occupait de toute la logistique technique. Il centralisait via Whatsapp tous les envois des sons dans un sens ou dans l’autre. Une présence et un appui indispensable pour une formation comme celle-ci.
Quels retours avez-vous reçus des participants sur ces formations ?
J’ai l’impression que pour eux, au-delà même du contenu des formations, le fait que la Fondation Hirondelle ne les « lâche » pas et trouve un moyen de continuer à les former, malgré le contexte du Coronavirus, était déjà en soi très important. Symboliquement et concrètement le message est très fort : ce virus et ses conséquences notamment en terme de déplacements ne va pas empêcher la Fondation Hirondelle de continuer à travailler avec ses rédactions, de continuer à les former et à les faire progresser. Ensuite c’est amusant parce que de l’autre côté de l’ordinateur, plusieurs participants ont avoué être plus concentrés qu’en « présentiel » comme on dit. Peut-être justement parce que c’était plus chaotique et plein d’improbabilités !
Quelles leçons en tirez-vous personnellement et pour de futures formations ?
Pour ma part, je trouve fantastique que ces formations à distance aient pu se mettre en place et que le travail de formation de la Fondation ne s’arrête pas pour cause de virus. Lorsque les choses reviendront à la normale, cette expérience peut permettre à la Fondation Hirondelle de mettre en place des formations de suivi par exemple, où sur 4-5 jours un formateur intervient à distance pour renforcer une production ou coacher une personne ou une équipe. Cela permet d’agir rapidement et efficacement, ponctuellement. En revanche, il est évident qu’en n’étant pas sur place, en ne « rencontrant » pas les contextes dans lesquels ces rédactions vivent, les conditions dans lesquelles elles travaillent, en n’observant pas les interactions et le fonctionnement au sein de la rédaction, nous ratons toute une dimension et des informations précieuses pour les aider à progresser et à travailler. La formation à distance, dans ce cadre est un excellent appui mais ne peut être l’unique vecteur d’apprentissage. Conclusion : vivement le retour à la normale !