L’Assemblée des Représentants du Peuple tunisienne a approuvé mercredi soir 13 septembre 2017, en séance plénière, le projet de loi sur la "réconciliation administrative". En fait, une loi controversée d'amnistie de fonctionnaires impliqués dans la corruption sous la dictature. Il s’agit de la première initiative législative du président de la République largement contestée par la société civile. Olfa Belhassine, la correspondante en Tunisie de JusticeInfo.net, le site web de la Fondation Hirondelle sur les questions de justice et réconciliation, en analyse les implications.
Après plus de deux ans de reports, de tergiversations et de manifestations de rue, ce projet de loi du président Béji Caied Essebsi a été adopté hier soir, par 117 voix, dans une ambiance houleuse. A l’intérieur comme à l’extérieur de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Amputé de la partie sur l’amnistie de change et sur celle portant sur la réconciliation avec les hommes d’affaire ayant tiré des avantages d’actes portant sur une malversation financière, le projet ne garde de sa version initiale que les dispositions concernant les fonctionnaires et assimilés. La nouvelle loi peut ainsi les amnistier s’ils sont indemnes de toute corruption et s’ils n’ont pas tiré profit de leurs services rendus au pouvoir. Même amendée cette loi reste toujours problématique pour l’opposition et une bonne partie de la société civile, qui stigmatise une démarche de « blanchiment des corrompus », selon la formule des jeunes du groupe « Manich Msamah » (Je ne pardonnerai pas), créé en août 2015 et mobilisant la rue en vue de faire tomber le projet.
Une démarche contraire à la justice transitionnelle
« Le projet de Béji Caied Essebsi en plus d’aller à l’encontre de la loi sur la justice transitionnelle et d’amnistier ceux qui ont mené le pays à la dérive, ne dévoile point la vérité sur les coulisses des dérapages de l’administration tunisienne en vue de la réformer », critiquent-ils. En écho avec le cri de l’opposition au moment de l’adoption de la loi : « Tous fidèles au sang des martyrs ! », répondent les slogans des membres de Manich Msamah, qui occupaient les lieux devant le parlement depuis le matin : « Ennahdha et Nida, ennemis des martyrs ! ».
Pour Oumayma Mehdi de l’Association d’Open Gov, Al Bawsala (la boussole), qui suit depuis près de deux ans de près les enjeux qui entourent à l’ARP les discussions autour du projet de loi, l’Etat tunisien souffre de schizophrène : « Il engage d’un côté une lutte contre les malversations et la contrebande et consacre d’un autre côté l’impunité des corrompus ! », s’exclame-t-elle.
L’opposition compte présenter bientôt un recours à l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi dans l’espoir que cette instance se prononce contre la constitutionalité de l’initiative présidentielle. L’opposition qui a entonné lors de la séance plénière l’hymne national pendant près de trente minutes pour empêcher la lecture du rapport de la commission de la législation générale, où a été débattu le mois de juillet le projet, a poussé le président du Parlement à lever la séance. Les élus de la gauche ont adressé plusieurs reproches à la majorité lors de la conférence de presse qu’ils ont organisée à l’ARP avant l’adoption de la loi.
Un marché conclu entre les deux partenaires du pouvoir
« Il s’agit d’un marché conclu entre le mouvement Ennahdha [les islamistes] et le parti Nida Tounes [ la formation du président de la République] pour fermer la parenthèse révolutionnaire », s’insurge le député Ammar Amroussia, du Front populaire. D’autres élus ont critiqué l’accélération du processus d’adoption de cette loi alors que des textes plus urgents abondent à l’Assemblée, dont celui relatif au Code des collectivités locales, à trois mois des scrutins municipaux fixés pour le 17 décembre prochain. Par ailleurs, s’interrogeaient hier des députés de la minorité parlementaire: « Pourquoi se précipiter pour voter un texte alors que le Conseil supérieur de la magistrature, consulté par l’ARP à propos de la composition de la Commission de Réconciliation prévue par le projet de loi, qui associe plusieurs juges, n’a pas encore délivré son avis ? ». Mais le président du Parlement, Mohamed Ennaceur, semblait décidé à en finir avec le long feuilleton qu’a entrainé la soumission par Béji Caied Essebsi de son initiative législative devant l’Assemblée en juillet 2015. Une initiative qui, a affirmé le chef de cabinet de Béji Caied Essebsi, Slim Azzabi : « fera gagner à la Tunisie 1,2 % de taux de croissance par an. Car elle donnera un coup de fouet au climat des affaires en libérant l’initiative des fonctionnaires, qui bloquent les projets d’investissement dans les régions parce que trainant des dossiers en instance ».