Michel Beuret, journaliste et grand reporter suisse, avec plus de 20 ans d'expérience en télévision et presse écrite, vient de rejoindre la Fondation Hirondelle dont il devient le nouveau Responsable éditorial. Entretien sur son parcours et son expérience du rôle du journalisme en contextes de crise.
Pouvez-vous nous résumer votre parcours de journaliste, et partager quelques-unes de vos expériences médiatiques marquantes ?
Je suis journaliste depuis 1994, pour l’essentiel à l’international et sur des terrains de crise. Après 17 ans passés dans la presse suisse (Le Nouveau Quotidien, Le Temps puis fin 1999 L’Hebdo), j’ai fait en 2010 le saut vers l’audiovisuel comme reporter à la RTS (Radio Télévision Suisse). Mon parcours m’a amené dans l’ensemble à voyager dans plus d’une centaine de pays. C’est un grand privilège de pouvoir naviguer, grâce à cette profession, dans tous les milieux, de témoigner depuis le cœur de l’histoire en marche, sur les conflits dans les Balkans, en Afghanistan, en Irak, au Sierra Leone, au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Niger, en Colombie, en Palestine, au Liban, en Libye, en Turquie etc… Chacun de ces reportages est une expérience qui marque (parfois durement), autant que certaines de investigations que j’ai consacrée aux trafics d’êtres humains, aux camps de réfugiés, à la prostitution, à l’exploitation minière, à l’exploitation tout court. En 2005, journaliste à L’Hebdo, j’ai eu la chance de participer à la création du Bondy Blog, dans l’écume des émeutes de banlieues en France. Une expérience enrichissante à tous points de vue. Créé à partir d’une simple idée et très peu de moyens, le BondyBlog aujourd’hui «.fr » demeure un média de référence en France. De même, la création du livre la « La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir » (Grasset, 2008, co-écrit avec Serge Michel) démontre par son succès qu’une investigation, aventureuse, complexe, mais pertinente sur le plan journalistique, rencontre son public. C’est une bonne nouvelle.
Comment avez-vous connu la Fondation Hirondelle ? Pourquoi avez-vous souhaité la rejoindre aujourd’hui ?
Mes débuts en journalisme coïncident avec l’époque tragique du génocide rwandais et la création même de la Fondation. Comme journaliste suisse, impossible de ne pas connaître ce projet magnifique et ses fondateurs, notamment Philippe Dahinden que j’ai eu la chance de connaître. Hasard de la vie, je me suis souvenu récemment, que l’un des premiers articles que j’ai écrit était consacré à Radio Hirondelle. La longévité et le développement rigoureux de ses projets, autant que l’idée qui sous-tend la Fondation (contribuer au maintien de la paix par la proposition d’une information impartiale à une audience démunie), la formation de journalistes au Sud, tout cela ne pouvait que parler à quelqu’un qui aime se projeter ailleurs. De retour en Suisse, après 4 ans passés à Paris comme correspondant de la RTS, j’ai eu envie de retourner sur des terrains plus complexes dans l’optique d’un projet de transmission dans les pays qui en ont le plus besoin. Cette fibre, si je peux dire cela ainsi, je l’ai toujours eue : pendant plus de 10 ans, j’ai collaboré au Festival Media Nord-Sud, ainsi qu’au Festival du film sur les droits humains (FIFDH) de Genève. En 2018, il m’a semblé que le moment était venu de répondre à cet appel intime. J’ai donc saisi avec bonheur, l’opportunité de ce poste de responsable éditorial, quand il s’est présenté.
Quels défis voyez-vous à l’exercice du journalisme dans des contextes de crise, et quel rôle peut-il jouer selon vous dans ces contextes ?
« La première victime d’une guerre, c’est la vérité ». Cette phrase me revient souvent à l’esprit. Que ferions-nous, nous qui n’avons – heureusement – jamais connu la guerre, si nous étions dans la situation de tous ces gens perdus dans un conflit dont ils ne voient plus le bout ? Sans repère, sans protection, sans droit, sans soin ? Que ferions-nous livrés à une famine meurtrière dans une région oubliée du monde ? Si nos enfants étaient privés d’école des années durant, comme je l’ai vu en Afghanistan jadis, dans certaines zones FARC en Colombie ou aujourd’hui en Syrie ? Comment réagirions-nous si, comme j’ai pu le constater au Sierra Leone, l’homme qui vous a coupé les avant-bras à la machette, vivait en toute impunité dans votre voisinage ? Comment réparer, comment se réparer lorsqu’on est en deuil ou que l’on a été violé ? Comment amorcer l’indispensable résilience? Je me souviens, à la chute de Tombouctou, de ces femmes violées sous l’occupation, qui ont fini par se confier à nous, moi et mon caméraman, deux Blancs, car elles n’avaient nulle autre personne à qui confier leur douleur. Dans des pays où l’éducation fait défaut si souvent, où les épidémies et pandémies surviennent dans des régions parfois inaccessibles, l’information est cruciale. Mais l’enjeu est immense car il implique une culture journalistique qui ne va pas de soi dans des pays où les régimes ont entretenu – et entretiennent encore – l’ignorance et l’opacité. Des territoires où celui qui porte une vérité est intimidé, emprisonné, torturé et parfois tué. Le défi d’informer de manière impartiale dans ces contextes est de disposer d’un média qui a la confiance de ceux qui l'écoutent. De convaincre toutes les parties de l’intérêt d’informer, vaille que vaille. De contribuer ainsi à améliorer le vivre ensemble, le dialogue et la compréhension d’une société, ne serait-ce que pour prévenir le pire. Ceci implique la formation des journalistes sur place, de rédactions, qui représente un autre enjeu majeur, indispensable et passionnant.