Dans un monde où les réseaux sociaux sont une source majeure d’information et de désinformation, savoir distinguer un fait d’un mensonge est un enjeu démocratique majeur. Dans ce travail d’éducation, les médias doivent prendre toute leur part, explique Caroline Vuillemin, Directrice générale de la Fondation Hirondelle, dans cette tribune publiée le 27 janvier 2021 par le journal suisse Le Courrier.
En 2020, les réseaux sociaux étaient la principale source d'information sur l’actualité pour 26 % des utilisateurs d'Internet dans le monde, à quasi-égalité avec les sites médias (28 %) et les moteurs de recherche (25 %). Et ce, notamment auprès des plus jeunes : 38 % des utilisateurs d'Internet âgés de 18 à 24 ans cherchent des nouvelles d’abord sur les réseaux sociaux. Pourtant, quatre ans après le scandale Cambridge Analytica - du nom de la société britannique qui avait massivement diffusé de fausses informations à des profils psychologiques ciblés sur les réseaux sociaux en vue d'influencer leurs votes -, peu a été fait pour améliorer la fiabilité des informations qui y sont partagées. Une vingtaine d'Etats ont légiféré contre la désinformation en ligne, restreignant le spectre des messages qui pouvaient être diffusés sur les réseaux sociaux. Mais certaines de ces lois s’inscrivent dans le cadre de mesure de censure mises en œuvre par des régimes autoritaires. De leur côté, les réseaux sociaux ont commencé à s'atteler à ce problème qui nuit à leur réputation, mais beaucoup reste à faire pour aider le public à s'orienter en ligne vers des informations fiables.
Depuis une vingtaine d'années, il existe au sein de l'Unesco un cadre de réflexion international pour ce faire : l'Education aux médias et à l'information (EMI). Celle-ci entend améliorer la capacité des personnes à « recevoir et à diffuser des informations de façon pertinente, éthique et critique », afin de mieux rendre effectif leur droit à l'information reconnu par l'article 19 de la Déclaration universelle des droits humains. Aider les citoyennes et citoyens, de tous âges et de toutes conditions, à s'extirper du magma de la propagande plus ou moins violente qui sévit sur la toile, est devenu un enjeu majeur, et global. Il ne concerne pas que les Etats, les organisations internationales, ou les écoles et universités, mais aussi les médias eux-mêmes.
Pour que les informations qu’ils traitent et diffusent puissent continuer à être vues, entendues, lues et crues par le plus grand nombre, les médias sont aujourd'hui dans l'obligation d’expliquer davantage comment ils travaillent. Certes, le journalisme n’a pas pour mission d’éduquer, mais d’informer. Traiter et fournir une information précise et claire, ce n’est pas la même chose que d’apprendre à lire, écrire, et compter. Ces deux missions, aussi nécessaires l’une que l’autre, demandent chacune un savoir-faire et des qualités spécifiques. Journalistes comme enseignant/es contribuent cependant à un même objectif d’intérêt général : nous aider à comprendre comment fonctionne le monde.
Face à la désinformation qui inonde les réseaux sociaux, face au relativisme généralisé qui met sur le même plan les opinions et les faits, ceux qui ont pour profession d’exposer la réalité telle qu’elle est doivent aujourd’hui pour être crédibles, expliquer comment ils/elles travaillent. Montrer et faire comprendre les techniques et principes qui guident la production d’information, c’est l’un des objectifs de « l’éducation aux médias ». Il s’agit aussi d’expliquer comment distinguer une information, factuelle et vérifiée, d’un mensonge ou d’une tentative de manipulation. Passer des affirmations à l’épreuve des faits, c’est aussi cela le rôle du journalisme. La Fondation Hirondelle s’y emploie depuis 25 ans, avec ses journalistes, médias et partenaires dans des contextes où une information crédible peut parfois sauver des vies. Du Mali au Myanmar, du Niger au Bangladesh, du Burkina Faso à Madagascar, en passant par la Centrafrique, dans ces pays parmi les plus fragiles du monde, l’accès à une information fiable est un bien de première nécessité. Ce besoin d’information de qualité est plus vital que jamais, là-bas comme ici, face à toutes les désinformations et aux nouvelles fractures digitales.