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Dans le studio de radio Rozana à Gaziantep, dans le sud-est de la Turquie, le 26 février 2021. ©Ozan KOSE / AFP Dans le studio de radio Rozana à Gaziantep, dans le sud-est de la Turquie, le 26 février 2021.

"Une information crédible contribue à contenir les discours de haine" - entretien avec Lina Chawaf

Lina Chawaf, journaliste syrienne exilée depuis 2011, préside Radio Rozana, média indépendant syrien basé à Paris. Elle raconte le travail des reporters syrien.ne.s confronté.e.s depuis dix ans à une violence quotidienne.

Pourquoi avez-vous quitté la Syrie en 2011 ?
Je travaillais alors à Arabesque, historiquement la première radio FM syrienne mais aussi la plus populaire, que j’avais fondée cinq ans auparavant. Peu après le début de la révolution syrienne en mars 2011, le régime m’a demandé de diffuser des messages de propagande. J’ai refusé, car il s’agissait essentiellement de mensonges et de discours de haine. Au bout de quatre mois, j’ai reçu des menaces répétées d’arrestation et de mort sur ma personne et sur mes enfants. J’avais peur chaque jour, alors je me suis enfuie.
En 2012, j’ai été contactée par d’autres journalistes syrien.ne.s qui avaient été forcé.es de quitter le pays. Avec l’aide de la coopération internationale dont l’ONG danoise International Media Support et l’agence française CFI, nous avons lancé Radio Rozana en juillet 2013. Il s’agit d’un média indépendant basé à Paris, diffusé sur le web, qui fournit de l’information à la population syrienne. Nos valeurs sont la crédibilité, les droits humains, les droits des femmes, l’acceptation des différences, avec pour but de changer la société syrienne et d’apporter la démocratie dans le pays. Aujourd’hui notre équipe compte 5 personnes à Paris, 13 personnes dans la ville turque de Gazantiep proche de la frontière syrienne, environ 20 correspondants en Syrie et quelques autres au Liban, en Jordanie, à Istanbul, à Berlin… partout où vivent des Syrien.ne.s.

Pour les journalistes resté.es en Syrie, quelles sont les possibilités de travailler ?
Il est presque impossible de travailler librement en Syrie aujourd’hui pour tout journaliste, syrien ou étranger, parce que c’est très dangereux. La censure des groupes armés et autres acteurs politiques est partout. Cela varie selon les zones, mais le risque le plus important est de travailler dans des régions tenues par le régime. A Radio Rozana nous connaissons tous des journalistes et des ami.es, y compris parmi nos correspondant.e.s, qui ont été kidnappées et tué.e.s par le Front al-Nosra, le groupe Etat Islamique ou le régime syrien.
C’est pourquoi nous n’avons pas choisi nos correspondant.e.s parmi des journalistes professionnels, mais plutôt parmi des militant.es qui diffusaient de l’information sur les réseaux sociaux. Ils travaillent pour nous de façon clandestine. Pendant trois ans, nous avons pu les former au journalisme professionnel à Gazantiep, jusqu’à ce que les Turcs ferment leur frontière en 2015.

Des témoins voulaient
exagérer le
nombre de victimes,
dans l’espoir de
faire venir les
secours plus tôt

Dans un contexte si dangereux, comment produire une information crédible ?
Franchement, c’est difficile. C’est difficile de demander à nos correspondant.es qui sont syrien.ne.s, qui ont parfois vu mourir des membres de leur famille dans des conditions atroces, de rester neutres dans ce conflit. Ils ont assisté à tant d’injustices en dix ans… Par exemple, quand un bombardement au gaz sarin a eu lieu en août 2013 dans la banlieue sud-est de Damas, nous n’avons pas diffusé de reportage pendant 24h. Nos correspondants étaient sous le choc. Certain.es d’entre eux ont vu des dizaines de personnes mourir en quelques minutes. 1 600 personnes sont mortes cette nuit-là, le plus souvent dans des souffrances horribles. C’était tellement dur. Dans cette situation comme dans d’autres cas survenus en Syrie, des témoins voulaient exagérer le nombre de morts, dans l’espoir que cela ferait venir les secours plus tôt. Ils attendaient une aide internationale qui n’est jamais venue. Nous n’avons pu diffuser des reportages qu’au bout de 24h. Cela impliquait d’avoir compté les cadavres, parlé avec plus de sources que jamais, recoupé nos informations plus que jamais, en Syrie et à l’extérieur, pour réaliser un reportage crédible.
C’est difficile mais nous continuons à travailler ainsi car une information crédible contribue à contenir les discours de haine en Syrie. Et aujourd’hui, c’est tellement nécessaire. Car les réseaux sociaux sont pleins de propagande et de haine. Ils ont joué un rôle important dans la propagation pacifique de la révolution syrienne en 2011. Mais après dix ans de destruction, ils sont devenus la seule plateforme où le peuple syrien peut crier sa colère et son désespoir.

Cet entretien a été publiée dans le 7ème numéro de "Médiation", publication semestrielle de la Fondation Hirondelle, à lire en intégralité en cliquant ici.