Depuis 40 ans, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York, protège les journalistes et la liberté de la presse dans le monde entier. Lucy Westcott, la directrice des situations d’urgence, décrit les besoins des journalistes en exil et l'aide que le CPJ peut leur apporter. Cette interview est tirée du 13ème numéro du Médiation nommé "Structurer le journalisme en exil dans un monde plus autoritaire", que vous retrouverez ici.
Quelles sont les conditions générales de sécurité des journalistes dans le monde ?
Lucy Westcott : Les journalistes du monde entier sont confronté·e·s à toute une série de problèmes de sécurité physique, numérique et psychosociale, surtout lorsqu'ils couvrent des guerres, des émeutes, des manifestations et des élections. 99 journalistes et professionnel·le·s des médias ont été tué·e·s en 2023, dont 77 dans la seule guerre menée par Israël à Gaza, et des centaines ont été blessé·e·s. En décembre 2023, 320 journalistes étaient emprisonné·e·s, dont 36 % en Chine, au Myanmar ou en Biélorussie.
Les journalistes sont également confronté·e·s à des menaces et au harcèlement, tant en personne qu'en ligne. Les problèmes de sécurité numérique comprennent les insultes, la divulgation malveillante d’informations personnelles, le piratage et l'utilisation de fausses informations ou images pour discréditer les journalistes et leurs organes de presse. Le CPJ a également documenté des menaces judiciaires contre des journalistes, souvent conçues pour les réduire au silence et comme des armes pour attaquer la liberté de la presse.
Pour échapper à ces menaces, de nombreux·ses journalistes sont contraint·e·s à l'exil chaque année, ou déplacé·e·s dans leur propre pays. Au cours des trois dernières années, le niveau d’assistance à l'exil fourni par le CPJ a augmenté de 227 %, passant de 63 journalistes aidé·e·s en 2020 à 206 en 2023.
Pourquoi y a-t-il de plus en plus de journalistes contraint·e·s à l'exil ?
Cela est dû principalement à la montée de l'autoritarisme dans le monde, ainsi qu’à l’augmentation des conflits. Dans des pays comme l'Iran ou la Russie, où il est très dangereux d'exercer le journalisme de façon indépendante, les journalistes fuient pour échapper aux menaces qui pèsent sur eux, leur famille et leurs collègues, ainsi qu'aux peines de prison prononcées contre leur travail.
Et des pays comme l'Éthiopie, le Nicaragua, le Soudan, le Myanmar, l'Ukraine ou l'Afghanistan continuent de traverser des crises longues qui ont d'énormes répercussions sur la liberté de la presse et la vie des journalistes. Ces dernières années, de nombreux·ses journalistes de ces pays ont fui vers des pays plus sûrs. Toutefois, l'absence de voies d'accès solides et efficaces vers des pays sûrs, ainsi que les menaces de répression transnationale, font que les journalistes en exil restent souvent dans des situations précaires.
Quelle aide le CPJ leur apporte-t-il, et que reste-t-il à faire ?
Le CPJ fournit des bourses d'assistance individuelle aux journalistes en exil. Lorsque les journalistes s’exilent pour la première fois, ces bourses les aident à couvrir leurs besoins de base : loyer, factures, nourriture, transport, frais de communication et vêtements chauds. Le CPJ aide à couvrir les frais de transport pour se rendre dans un pays sûr. L'assistance à l'exil reste le plus grand domaine d'aide financière directe du CPJ aux journalistes.
À moins que les journalistes en exil n’aient la double nationalité, un de leurs besoins particulièrement importants est l'amélioration des procédures d’urgences pour obtenir un visa afin de fuir rapidement leur pays d'origine. De nombreux·ses journalistes en exil sont également confronté·e·s à des problèmes de santé mentale. Il reste encore beaucoup à faire pour trouver des moyens plus adaptés et efficaces afin d’aider les journalistes à répondre à ce besoin.