Misa Ramisarivelo est Rédactrice en Chef du Studio Sifaka, programme radiophonique pour les jeunes à Madagascar, créé par les Nations-Unies en partenariat avec la Fondation Hirondelle. Elle explique les effets de la pandémie du Covid-19 sur son pays, et sur le travail des journalistes.
Alors que le pays n’a connu jusqu’ici officiellement aucun décès lié au Coronavirus et que le nombre de personnes infectées semble très limité, quelles sont les conséquences concrètes de la crise du Covid-19 pour la population à Madagascar, au-delà de l’aspect sanitaire ?
Effectivement, Madagascar est « épargné » par cette épidémie par rapport à d’autres pays en dépit des conditions de vie précaire de la population en général et des problèmes d’accès aux soins en particulier. Mais si on a réussi à contenir la propagation du virus et à bien traiter les malades, la situation économique et sociale, voire politique, est loin d’être maîtrisée. Au contraire, l’épidémie n’a fait qu’affaiblir la santé économique du pays déjà fragile après la crise sanitaire liée à l’épidémie de peste en 2017.
Le confinement partiel a duré un mois dans deux principales villes de Madagascar, Antananarivo et Toamasina. Si les gens ont respecté à la lettre les consignes pendant la première quinzaine, des manifestations ont ensuite commencé dans les deux villes. Elles sont liées à la distribution des aides de l’Etat et à l’interdiction de circuler. Beaucoup de gens qui travaillent dans l’informel comme les marchands de rue, les tireurs de pousse, les mécaniciens des quartiers, et d’autres ouvriers ne figurent pas dans le plan d’urgence social annoncé par le gouvernement. Il en est de même pour les indépendants dont les enseignants vacataires, les garagistes, les agriculteurs. Cette liste n’est pas exhaustive. Des secteurs d’activité informelle sont durement touchés par les mesures de restrictions sanitaires. Les ménages souffrent du manque à gagner. Pour les entreprises qui ont dû fermer leurs portes, le problème est autre et plus grave avec la gestion des ressources humaines, les échéances bancaires, le loyer etc.
Sur le plan politique, la relation de confiance n’existe pas entre les dirigeants et le peuple. Le Chef de l’Etat n’a cessé d’appeler les gens à faire confiance aux gouvernants dans les stratégies adoptées pour faire face à la crise lors de ses interventions télévisuelles. Cela ne fait qu’exacerber les tensions. Même le nouvel ordre sociétal, appelé comité Loharano, qu’a voulu installer le gouvernement au niveau des quartiers n’a pas donné l’effet escompté alors qu’il est prévu que toute organisation ou proposition parte de cette base et soit transmis au sommet. Le comité n’a fait qu’alourdir les missions déjà assignées aux Fokontany, le premier échelon administratif à Madagascar.
Sans surprise, on a vu l’intensification de l’insécurité, de plus en plus d’attaques armées, de cambriolages dans plusieurs quartiers et même le retour du kidnapping, qui était quasi inexistant durant le premier trimestre de cette année. Mais aussi l’amplification des trafics d’animaux protégés et l’exploitation d’aires protégées.
Comment cette crise impacte-t-elle le travail des journalistes ?
Depuis le début de la crise en Chine, des « fake news » inondent la toile. Désorientés, les gens ne savent pas trop que croire, à quels médias ou citoyens accorder de la confiance, notamment sur le réseau social Facebook. Ce dernier devient par ailleurs une machine à répandre à toute vitesse des « informations » en vrac (vidéos – photos – rumeurs-désinformations). Beaucoup de gens ont tendance à donner de la crédibilité à ce genre de publications car, dit-on, elles montrent ce que les médias n’abordent pas dans leur édition.
En fait, les journalistes veulent répondre aux besoins d’informations des gens et à leur préoccupation mais en temps de crise, la liberté d’informer est touchée par les restrictions. Le gouvernement malgache par exemple a limité le nombre de personnes qui peuvent intervenir sur le Covid aux membres du centre de commandement opérationnel Covid19, dénommé CCO-Covid-19. Ces derniers, qui sont pour la plupart des professeurs et des médecins spécialistes ou des généraux des forces de l’ordre, assistent tout le temps à des réunions, préparent leurs ripostes ou sont sur terrain. Du coup, ils sont rarement disponibles pour répondre aux questions des médias. Et les sources qui ne figurent pas dans le cercle officiel acceptent rarement de donner des explications par peur d’être taxé de fauteur de « troubles à l’ordre public ». Par ailleurs, le service de lutte contre la cybercriminalité multiplie les actions de répression contre les auteurs ou colporteurs de rumeurs, de diffamations, de fausses informations sur Facebook.
La bipolarité des médias, semblable aux périodes de propagande, est plus que jamais visible, en raison de leur appartenance à des hommes politiques opposants ou proche du pouvoir. Les sources d’informations ne sont pas diversifiées, la parole est donnée à un cercle très restreint. Ce qui expose les jeunes et la population à de la désinformation voire de la manipulation.
Comment vous êtes-vous organisée avec votre rédaction, constituée de journalistes très jeunes, pour continuer à travailler malgré le confinement ? Quels sont les difficultés principales que vous devez surmonter ?
Après l’annonce du confinement partiel pour la capitale, nous avons pris la décision d’effectuer le télétravail même si cela relève d’un véritable défi, tant sur le plan technique qu’organisationnel. La protection des journalistes – en tant que ressources humaines est essentielle. Il faut faire en sorte que le processus de travail à distance marche pour assurer un programme d’une heure par jour aux auditeurs. Car en période de crise, la radio joue un rôle important pour éduquer, vulgariser, et donner des informations fiables et crédibles. Nous avons donc informé nos journalistes de la décision de respecter le confinement tout en assurant le travail régulièrement.
Pendant la première quinzaine, la conseillère éditoriale, le directeur de la radio, la rédactrice en chef ainsi que le rédacteur en chef adjoint, assisté par le responsable éditorial de la Fondation Hirondelle, ont assuré les journaux parlés et les chroniques quotidiennes. Nos deux animateurs ont été appelés pour assurer la présentation et la partie animation. Avec deux réunions journalières au début et à la fin de la journée pour la coordination et la préparation. Nous avons organisé les journalistes en 5 groupes de travail à distance. Ils étaient mobilisés pour faire de la veille informationnelle, publier des informations sur les réseaux sociaux et écrire des articles pour le site web.
A partir de la deuxième quinzaine, nous avons intégré les chefs de chaque groupe de travail dans la préparation du programme. Au début nous avions peur de nous retrouver à court de sujets… Mais cela n’a pas été le cas. Nos journalistes en herbes nous surprennent tous les jours. Certains se sont même améliorés ; on est devenu plus proche en s’appelant souvent et on a plus de temps pour parler en détail des angles et des lacunes de chacun.
La grande difficulté c’est la connexion internet. Le débit de la connexion change d’un quartier à un autre et d’un opérateur à un autre. Nous utilisons une connexion de type réseau mobile 4G mais il y a toujours quelqu’un d’entre nous qui connait un ralentissement de la connexion au moment de l’envoi des sujets montés. Certains quartiers subissent aussi des coupures d’électricité.
Nous avons aussi plus de mal à trouver des intervenants. La plupart ne préfère pas s’exprimer sur les informations officielles données par le gouvernement. Certes, nous reprenons régulièrement certaines de ces informations mais nous voulons privilégier les angles qui intéressent aussi notre cible. Les avis des experts, des témoins, des entrepreneurs ou des connaisseurs sont les bienvenus mais souvent ils se désistent au dernier moment, même après avoir fixé un rendez-vous. Gérer ainsi le remplacement d’un sujet par un autre relève d’un vrai casse-tête, mais on s’adapte.
Quel rôle un programme d’information pour les jeunes comme celui de Studio Sifaka peut-il jouer face à une telle crise ?
Le Studio Sifaka est un média jeune qui œuvre pour la promotion de la paix, une mission plus que jamais d’actualité depuis l’arrivée de cette pandémie. Les jeunes sont très affectés par la propagation du covid-19 et les mesures appliquées dans le pays. Fermeture des écoles et universités, suspension d’un certain nombre d’activités et restriction de la circulation. Du coup, ils ont une vision très floue de leur avenir et cherchent davantage d’informations susceptibles de les aider à prendre des décisions et à y voir plus clair. Les inviter à prendre la parole leur permet d’exprimer ce qu’ils ressentent et d’exposer leur préoccupation même si c’est un peu difficile de les mettre en confiance.
Le programme du Studio Sifaka n’est pas seulement axé sur l’actualité mais il est également composé d’animation musicale et d’émissions éducatives et divertissantes. Bientôt, nous allons encore mettre en place des contenus culturels pour équilibrer le programme proposé à nos jeunes auditeurs : des contes, des sketchs, du théâtre radiophonique ou des concours qui mettront en avant leurs talents.