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S'en tenir aux faits, créer de la confiance : notre remède à la désinformation

S'en tenir aux faits, créer de la confiance : notre remède à la désinformation

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Nous venons de célébrer la Journée mondiale de la liberté de la presse, lundi 3 mai. Le thème retenu par l'UNESCO cette année était : "l'information comme bien public". Le rôle vital et d’intérêt public de l’accès à une information de qualité est au cœur de l’action de la Fondation Hirondelle depuis plus de 25 ans. C’est sur cette expérience que nous nous basons aujourd’hui pour expliquer notre approche de la réponse à la désinformation, fléau qui fragilise toutes les sociétés à travers le monde.

La Fondation Hirondelle fonde sa réponse à la désinformation sur les principes de base du journalisme, et sur les leçons que nous tirons de leur application depuis 25 ans dans des contextes de grande fragilité, où l’accès du plus grand nombre à une information fiable n’est pas garanti, et où les rumeurs, appels à la haine ou messages de propagande fragilisent la construction de la paix et le développement. Notre réponse à la désinformation repose sur deux axes complémentaires : s’en tenir aux faits et créer de la confiance.

  S'EN TENIR AUX FAITS

  • INDÉPENDANCE : L’indépendance éditoriale est indispensable pour garantir le traitement le plus juste possible des faits. Quel que ce soit le propriétaire du média, l’Etat, un homme d’affaire, ou une association, il s’agit de garantir l’indépendance du travail des journalistes. Cette indépendance doit être affirmée et protégée par des textes, codes, chartes, et par l’application de bonnes pratiques quotidiennes, pour éviter les interférences entre la direction du média, et la rédaction. Lire par exemple la charte d’antenne des radios du Mali[1], adoptée en février 2021 à Bamako par la Haute autorité de la communication et l’Union des radios et télévisions libres du Mali, et inspirée par Studio Tamani, le programme de la Fondation Hirondelle au Mali
  • FIABILITÉ : La production d’informations factuelles et fiables nécessite de pouvoir accéder à des sources légitimes, et vérifiées. Cet accès est souvent compliqué, voire empêché par les gouvernements, administrations ou entreprises, surtout sur des sujets sensibles, dans des contextes de conflits, ou sous des régimes peu démocratiques. Savoir identifier des sources fiables est d’autant plus crucial pour les journalistes dans ces situations. Regarder notre vidéo « masterclasse en journalisme », sur le traitement des sources, avec Guillaume Daudin[2], journaliste à l’Agence France Presse.
  • RÉACTIVITÉ : Le traitement de l’information doit se faire au plus près des faits : une proximité qui signifie à la fois proche dans l’espace et dans le temps. Les journalistes doivent ainsi pouvoir travailler sur le terrain, se rendre sur les lieux, avec la plus grande réactivité pour répondre aux besoins d’information réels de la population lorsqu’un événement survient et ne pas laisser la place à la diffusion des rumeurs. En l’absence d’information factuelle, vérifiée et fiable, la rumeur comble rapidement le vide[3].
  • PROPORTIONNALITÉ : Traiter l’information sur le terrain doit permettre de mieux répondre aux préoccupations de la population, de manière proportionnelle à ce qui compte vraiment pour elle, en évitant d’imposer des agendas externes. La proportionnalité s’applique aussi au traitement de la désinformation : ne pas lui donner une importance excessive, au risque de contribuer à sa diffusion.
  • CLARETÉ : La distinction entre les faits et les opinions est fondamentale. Elle doit permettre à un média d’information d’être crédible aux yeux du public. Le rôle d’un journaliste n’est pas de donner son avis, mais de traiter des faits et de les expliquer le plus objectivement et clairement possible. Les opinions doivent être présentées comme telles. La confusion entre information (qui n’a d’autre ambition que de refléter la réalité au plus près en présentant des faits) et communication (qui vise à promouvoir un point de vue particulier, à faire passer un message) est également contre-productive dans les efforts de lutte contre la désinformation. Des médias qui diffusent simultanément et sans distinction claire des informations se voulant factuelles et des campagnes de communication (institutionnelle, sanitaire, commerciale, politique…) risquent de décrédibiliser leurs contenus informatifs aux yeux du public.

CONDITIONS : Le traitement des faits ne s’improvise pas, c’est un métier, celui de journaliste. Ce métier s’apprend. Il demande de la formation, des moyens, techniques et financiers, du temps. Des journalistes peu ou mal formés, peu ou mal payés, sont davantage susceptibles de mal traiter et de mal relater les faits. Ils peuvent alors devenir eux-mêmes des vecteurs de désinformation, et perdre la confiance du public, au risque que celui-ci ne fasse plus la distinction entre des diffuseurs d’information et de désinformation.

Pour assurer que les informations factuelles traitées par les journalistes atteignent la population, il faut que celle-ci puisse avoir accès à des médias d’information crédibles et professionnels. Cet accès, pour toucher le plus grand nombre et notamment les populations les plus pauvres, doit être simple et gratuit, ou peu cher. Les médias traditionnels, comme la radio, restent ainsi des vecteurs efficaces, à côté ou en combinaison avec une diffusion en ligne et sur les réseaux sociaux. Ces médias doivent disposer des moyens techniques, humains et financiers leur permettant d’assurer la production et la diffusion de leurs informations.

  CRÉER DE LA CONFIANCE

  • PROXIMITÉ : La confiance se construit dans une relation de proximité. Cette proximité n’est pas uniquement géographique, il s’agit également de parler aux gens dans leurs langues, de traiter de sujets qui les concernent directement, et d’une manière qui leur soit facilement compréhensible, par des médias accessibles et dans des formats qui leur parlent et qui les accrochent. Des médias proches de leur public peuvent devenir des catalyseurs d’empathie sociale, et ainsi contrer les effets des discours clivant, des « chambres d’échos » et des bulles de désinformation qui cloisonnent les idées au lieu de les faire circuler.
  • INCLUSIVITÉ : Des médias qui mettent en œuvre des programmes de dialogue inclusifs et équilibrés, réunissant toutes les communautés d’opinion et composantes de la société à laquelle ils s’adressent, sont davantage susceptible de recueillir la confiance du plus grand nombre, chacun.e ayant alors le sentiment d’être pris.e en compte, et entendu.e.
  • SINCÉRITÉ : La confiance implique la sincérité : ne pas cacher ce qui va mal, ne pas minimiser les problèmes (sans pour autant leur donner une importance exagérée), oser traiter des sujets les plus sensibles, pour témoigner d’un traitement sincère des faits.
  • TRANSPARENCE : Pour que la factualité soit acceptée par le public, le média qui en est le vecteur doit être perçu comme crédible et impartial. L’impartialité, tout comme l’objectivité absolue n’existent pas. Il s’agit de s’y efforcer avec honnêteté, en indiquant au public de manière claire et transparente d’où nous parlons : qui est le propriétaire du média, qui le finance, quelle est sa ligne éditoriale, et pour les journalistes, d’expliquer la manière dont ils travaillent, qui ils sont, comment ils traitent les informations, et comment ils s’efforcent de maîtriser leur subjectivité. Voir par exemple le travail normatif mis en œuvre dans le cadre de la « Journalism Trust Initiative »[4].
  • ÉCOUTE : Construire une relation de confiance avec son public implique pour un média d’être à son écoute : consulter régulièrement celles et ceux à qui on s’adresse, pour recueillir leurs besoins en informations, attentes, avis sur les programmes, pour pouvoir mieux y répondre. La connaissance de son public et de la désinformation à laquelle il est confronté implique de mettre en œuvre des processus de monitoring des discussions en ligne et hors ligne ancrés dans la réalité locale. Les médias doivent s’associer pour cela aux chercheurs et experts capables de les aider à développer de nouveaux outils de monitoring permettant d’identifier les vecteurs et objets de désinformation. Lire par exemple l’étude sur les sources et la circulation de l’information au Nord-Kivu, RDC,[5] menée en 2019 par un consortium composé de la Fondation Hirondelle, du think-tank britannique DEMOS, de Harvard Humanitarian Initiative et de l’Institut congolais de recherche et de développement et études stratégiques.

CONDITIONS : Un travail d’éducation sur la manière dont se traite, se diffuse et se consomme l’information (désigné par la formulation « éducation aux médias et à l’information ») est une condition nécessaire au rétablissement d’une relation de confiance entre les médias et le public. Il ne s’agit pas pour les journalistes de se justifier ou de donner des leçons, mais de donner des outils à tous les consommateurs.trices de médias  pour qu’ils puissent s’interroger sur la manière dont ils s’informent, pour que nous puissions tous prendre une distance critique sur nos biais cognitifs, sur les tours que nous jouent nos cerveaux. Faire ce travail implique, pour qu’ils soient crédibles et entendus, que les journalistes eux-mêmes sachent se remettre en question, présenter au public leurs propres doutes, et parfois leurs erreurs. Ces programmes d’éducation aux médias peuvent ainsi être produits et diffusés par les médias eux-mêmes et/ou en partenariat avec des universités, chercheurs.euses et autres acteurs de la société civile. Regarder par exemple notre série de vidéos « masterclasses » en journalisme[6].

 

les défiS
  • Dans la bataille globale pour conquérir notre attention, les « fake news », rumeurs, messages clivant ou vidéos amusantes et vides de sens (la désinformation prenant souvent des raccourcis et des atours divertissant), ont un avantage cognitif considérable sur les informations factuelles, faisant appel à notre raison et à notre capacité de réflexion et de remise en question. Un défi majeur pour les médias d’information, où qu’ils se trouvent, est de réussir à capter l’attention du public, face aux « sucreries » que constituent pour nos cerveaux les contenus simplistes, gratifiants, amusants ou choquants qui inondent nos fils d’actualité et pages web[7].
  • Les rumeurs ont toujours existé, et circulent aussi « offline », par le bouche à oreille, mais la circulation massive de la désinformation sur les réseaux sociaux a un effet d’autant plus dévastateur qu’elle peut souvent apparaître très convaincante, par la puissance technologique des outils qu’elle utilise : vidéos « deep-fakes », faux articles de presse qui ressemblent à s’y méprendre à des vrais, documentaires complotistes produits avec des moyens équivalents à ceux de chaîne de télévision « mainstream »… Il est parfois difficile de distinguer une « fake news » d’une vraie information.
  • Cette bataille pour capter l’attention du public a aussi une dimension financière. Le modèle économique des réseaux sociaux repose sur des contenus susceptibles de générer un maximum de « clics » et de capter facilement notre attention. Les contenus gratifiants qui enferment dans des bulles informationnelles (« echo chamber ») et des contenus clivants, qui font réagir, y trouvent un avantage concurrentiel et circulent d’autant plus largement. De plus, ces plateformes digitales (comme Google et Facebook) phagocytent les revenus publicitaires en ligne, privant ainsi les médias d’information de sources de revenus vitaux. Ceci alors que le modèle économique des médias d’information est en crise depuis plus de 20 ans déjà. Des médias économiquement fragiles, qui réduisent le nombre de leurs journalistes et les moyens à leur disposition pour traiter les informations, ont d’autant plus de mal à répondre à la désinformation et sont plus vulnérables à la capture partisane.
  • Le monitoring de la désinformation est compliqué par la réticence des plateformes et propriétaires des réseaux sociaux à dévoiler le fonctionnement de leurs algorithmes, qui ont fait leur succès. Ce monitoring est encore plus compliqué sur les applications populaires de messagerie mobile, comme WhatsApp, où la diffusion de la désinformation est massive mais très difficile à identifier sur le moment y compris pour des raisons éthiques d’accès aux groupes privés (cas d’école du Brésil lors de l’élection de Jair Bolsonaro, mais aussi récemment lors de plusieurs élections en Afrique, comme au Niger ou en République centrafricaine fin 2020).
  • Les acteurs de la désinformation sont nombreux : gouvernements, partis, entreprises, groupes religieux, groupes armés, associations, médias, bloggeurs.euses, chanteurs.euses, acteurs.trices, célébrités et simples citoyens.nes… Tout le monde est susceptible de diffuser, ou relayer, consciemment ou non, une « fake news » ou un contenu véhiculant de la désinformation. C’est pourquoi les efforts d’éducation aux médias doivent s’adresser à toutes les catégories de la population, et pas seulement, par exemple, aux jeunes (une étude menée sur la campagne électorale américaine de 2016[8] a ainsi démontré que les personnes âgées de plus de 65 ans avaient diffusé beaucoup plus de fausses informations que les jeunes de moins de 30 ans).

 

recommandations

 Aux gouvernements et donateurs de l’aide au développement :

  • Evitez de confondre les efforts de communication stratégique - qui peuvent être légitimes voire d’intérêt public dans le cadre de la lutte contre la pandémie par exemple – et le soutien à des médias d’information, au risque d’endommager leur crédibilité, de porter atteinte à la confiance que les publics ont dans les médias, et donc à l’impact de leurs informations
  • Soutenez les médias locaux d’information, pour éviter le « vide » d’information fiable pour les populations qui en ont le plus besoin, dans les contextes où l’accès à l’information n’est pas garanti pour le plus grand nombre
  • Soutenez la formation des journalistes, pour qu’ils/elles soient à même de fournir un travail de qualité qui assure une meilleure crédibilité des informations, y compris leurs capacités à démonter les rumeurs
  • Soutenez les programmes d’éducation aux médias, pour que les citoyens.nes puissent disposer des outils et du réflexe critique sur les informations qu’ils.elles reçoivent, soient conscients de leur propres biais cognitifs et comment ceux-ci peuvent être exploités par les vecteurs de (dés)information, et soient capable de faire la distinction entre information et désinformation
  • Soutenez les programmes de recherches et efforts de monitoring sur la désinformation et le rôle des médias d’intérêt public.
  • Soutenez les institutions locales pour l’adoption de cadres réglementaires respectant l’indépendance des médias et favorisant l’accès à l’information publique

 Au décideurs politiques et institutions

  • Ne diffusez pas d’informations incorrectes ou approximatives, cela nuit à la crédibilité de votre institution et à ceux.celles qui relayent votre message officiel
  • Ne confondez pas la diffusion de messages d’intérêts publics, et la promotion de vos politiques
  • Ne confondez pas médias de service public et médias d’Etat
  • Respectez l’indépendance des médias, publics comme privés
  • Assurez l’adoption / l’évolution de cadres réglementaires respectant l’indépendance des médias et favorisant  l’accès à l’information publique pour les journalistes
  • Assurez un accès et une réponse rapide aux journalistes pour qu’ils.elles puissent exercer leur travail et répondre rapidement aux préoccupations légitimes de la population
  • Evitez de catégoriser une information vérifiée comme étant « fausse » ; évitez de décrédibiliser le travail des journalistes et médias d’information

 Aux propriétaires de médias :

  • Ne diffusez pas d’informations incorrectes/approximatives, cela nuit à la crédibilité de votre média et à celles.ceux qui relayent vos contenus
  • Respectez l’indépendance de vos rédactions
  • Assurez des conditions de travail dignes à vos journalistes
  • Permettez l’accès à des formations régulières à vos journalistes

 Aux entreprises et acteurs du web et des réseaux sociaux :

  • Travaillez avec les médias et les chercheurs sur des programmes de monitoring de la désinformation
  • Modifiez vos algorithmes pour permettre de revaloriser les contenus informatifs vérifiés, et de diminuer la circulation des « fake news » et de la désinformation
  • Acceptez un partage plus équitable des revenus publicitaires avec les médias pour la diffusion de leurs informations


[3] Ce manque d’information qui favorise la propagation des rumeurs est d’autant plus dangereux et dommageable dans des contextes fragiles et de conflits. Lire à ce sujet Marie-Soleil Frère & Anke Fiedler :  Balancing Plausible Lies and False Truths, Perception and evaluation of the local and Global News, Coverage of Conflicts in the DRC, in Romy Fröhlich, (Ed.), Media in war and armed conflict: The dynamics of conflict news production and dissemination (2018) London, New York: Routledge. pp. 271-284