À quelques semaines des conférences internationales sur la paix et la reconstruction en Ukraine de Berlin ou au Bürgenstock, les médias ukrainiens se sont réunis au Lviv Media Forum, une conférence qui rassemble depuis 10 ans les médias ukrainiens pour débattre de la situation du secteur.
Depuis l’invasion russe en 2022, les médias ukrainiens, notamment les médias régionaux, traversent une nouvelle phase critique. En plus des enjeux de survie sécuritaire et économique, la crise énergétique qui frappe le pays fragilise la capacité de produire et diffuser au quotidien, tout autant qu’elle limite l’accès par les populations aux informations sur supports audio-visuels et numériques. De surcroît, la nouvelle loi sur la mobilisation de tous les hommes ukrainiens pour rejoindre l’armée vide les rédactions de parfois le tiers ou la moitié de leurs effectifs, alors qu’elles souffrent déjà d’un manque cruel de personnel formé et opérationnel.
J’ai eu l’occasion de m’entretenir à Lviv avec Maryna Osipova, journaliste du média Visnyk Che, basé à Chernyhiv, au centre-nord de l’Ukraine. Visnyk Che est un média qui fait partie du réseau des médias que nous soutenons en Ukraine avec notre partenaire local IRMI. Maryna a fui le pays en 2022, elle s’était réfugiée en Alsace, en France. Mais elle a décidé de rentrer avec ses deux enfants et de reprendre son travail de journaliste pour donner aux populations de sa ville les informations dont elles ont besoin au quotidien pour vivre. Elle a été formée à de nouvelles techniques, comme la production de vidéo et contenus par téléphone mobile (MOJO), et m’expliquait combien le tissu de médias locaux à l’extérieur des grands centres urbains que sont Kiev, Lviv, Kharkiv ou Odessa sont vitaux et doivent continuer à être soutenus. Ce réseau forme le ciment de la cohésion sociale dans les communautés, et entre communautés à travers le pays et avec les Ukrainiens et Ukrainiennes vivant désormais à l’extérieur.
Absents des discussions de haut niveau sur la recherche de la paix et la reconstruction du pays, Maryna et les journalistes ukrainiens plaident pour une réelle considération du secteur des médias dans les phases de reconstruction. Cela passe notamment par le soutien financier du secteur, soit une prise en charge équitablement pour tous les médias, publics ou privés, l’infrastructure technique, énergétique et logistique de production et diffusion pour reconnecter toutes les régions du pays, et une reconnaissance du secteur comme « essentiel au fonctionnement de la société », et donc que les journalistes hommes déjà très peu nombreux dans les rédactions ne soient pas mobilisés pour pouvoir continuer à informer la population ukrainienne.
Les médias ont un rôle clé à jouer dans les sociétés de post-conflit. La société ukrainienne de demain doit disposer des outils pour être résiliente face à la désinformation et la propagande. Cela passe par un secteur médiatique professionnel et viable qui puisse pleinement jouer son rôle de chien de garde de la démocratie et la paix sociale face aux dangers de la polarisation, de l’exclusion et de la corruption.
Caroline Vuillemin, Directrice de la Fondation Hirondelle