Sabra Ayres, journaliste indépendante, couvre l'Ukraine et la Russie depuis la révolution Orange de 2004. Elle est aujourd'hui coach éditoriale dans le cadre du programme de la Fondation Hirondelle visant à renforcer les médias locaux dans l'Est de l'Ukraine, ainsi que leur rôle dans la cohésion sociale.
Qu'est-ce qui a changé dans la relation des Ukrainien·ne·s avec les médias depuis l'invasion totale de leur pays en février 2022 ?
Sabra Ayres : Avant l'invasion totale par la Russie en 2022, la révolution de Maïdan en 2014 a marqué un tournant pour les médias ukrainiens. La révolution a évincé l'ancien président Viktor Ianoukovitch, qui cherchait à resserrer les liens avec Moscou, et a ouvert une nouvelle ère de journalisme d'investigation. Des médias tels que Ukrainska Pravda et Slidstvo ont révélé certains des plus grands scandales de corruption du pays. La lutte contre la corruption se poursuit aujourd’hui et est souvent considérée comme le second front de la guerre. Mais lorsque la guerre s’est étendue en 2022, les médias ukrainiens ont été confrontés au défi de l'autocensure : le pays s'est uni dans l'objectif commun de la victoire sur la Russie, même si quelques scandales de corruption ont encore été révélés dans la presse, entraînant des démissions au ministère de la Défense. Mais maintenant que la guerre approche de son troisième anniversaire, l'autocensure s'est estompée. La population souhaite que les médias dénoncent à nouveau la corruption et interrogent les choix du gouvernement. Par exemple, le sujet de la mobilisation reste controversé, car l'Ukraine a besoin de plus de soldats pour combattre, mais tout le monde n'est pas d'accord sur la manière dont le processus est mis en œuvre.
En tant que coach éditoriale de la Fondation Hirondelle pour des médias ukrainiens, quels besoins d'information avez-vous identifiés ?
J’interviens comme coach éditorial dans le cadre du projet « Renforcer la résilience des médias en Ukraine », codirigé par la Fondation Hirondelle et l'ONG ukrainienne International Institute for Regional Media and Information (IRMI). Le projet a démarré en avril 2022, comme réponse d'urgence à l'invasion de la Russie. Nous avons alors aidé les médias locaux proches du front à répondre aux besoins d'information des personnes vivant un conflit : savoir où obtenir de l'aide humanitaire, que faire si votre famille a été déplacée, où brancher votre téléphone portable puisqu'il n'y a plus d'électricité... En mars 2023, le projet a commencé une deuxième phase dans laquelle nous soutenons 23 médias locaux indépendants, imprimés et en ligne, pour la plupart situés dans l'Est de l'Ukraine. Nous appuyons aussi des médias du centre et de l’Ouest du pays, où des millions de personnes ont été déplacées par la guerre, ainsi que deux chaînes de télévision. Nous travaillons avec les médias locaux parce que les communautés ukrainiennes locales se sentent souvent ignorées par les médias nationaux, surtout dans les zones de conflit : les médias nationaux viennent, font des reportages et repartent. Tandis que les médias locaux restent, c'est pourquoi ils jouissent d'une plus grande confiance. Nous renforçons leurs capacités éditoriales et nous les soutenons financièrement, afin d'aider les journalistes à produire de meilleurs articles qui répondent aux nouveaux besoins d'information de leur public.
Comment identifiez-vous ces nouveaux besoins ?
Début 2024, nous avons chargé quatre sociologues ukrainien·ne·s de comprendre le rôle des médias locaux dans la promotion de la cohésion sociale. Ils ont travaillé pendant six mois avec 23 communautés et un échantillon de près de 2 400 répondant·e·s. Leur enquête a été publiée en octobre. Deux résultats sont frappants : Premièrement, les gens veulent lire des histoires positives, et pas seulement des histoires de guerre. Deuxièmement, ils sont de plus en plus préoccupés par la reconstruction des régions dévastées par l'invasion russe, et ils veulent savoir où va l'argent, comment les gouvernements locaux dépensent leurs budgets. Il semble que l'inquiétude concernant la corruption nationale qui a suivi la révolution de Maïdan se soit déplacée au niveau local. Pour nous, ce sont de nouvelles lignes d’action.
Cet extrait est tiré du 13ème numéro du Médiation nommé "S'adapter à l'évolution des besoins d'information", que vous trouverez attaché en haut de cet article.
Qu'est-ce qui a changé dans la relation des Ukrainien·ne·s avec les médias depuis l'invasion totale de leur pays en février 2022 ?
Sabra Ayres : Avant l'invasion totale par la Russie en 2022, la révolution de Maïdan en 2014 a marqué un tournant pour les médias ukrainiens. La révolution a évincé l'ancien président Viktor Ianoukovitch, qui cherchait à resserrer les liens avec Moscou, et a ouvert une nouvelle ère de journalisme d'investigation. Des médias tels que Ukrainska Pravda et Slidstvo ont révélé certains des plus grands scandales de corruption du pays. La lutte contre la corruption se poursuit aujourd’hui et est souvent considérée comme le second front de la guerre. Mais lorsque la guerre s’est étendue en 2022, les médias ukrainiens ont été confrontés au défi de l'autocensure : le pays s'est uni dans l'objectif commun de la victoire sur la Russie, même si quelques scandales de corruption ont encore été révélés dans la presse, entraînant des démissions au ministère de la Défense. Mais maintenant que la guerre approche de son troisième anniversaire, l'autocensure s'est estompée. La population souhaite que les médias dénoncent à nouveau la corruption et interrogent les choix du gouvernement. Par exemple, le sujet de la mobilisation reste controversé, car l'Ukraine a besoin de plus de soldats pour combattre, mais tout le monde n'est pas d'accord sur la manière dont le processus est mis en œuvre.
En tant que coach éditoriale de la Fondation Hirondelle pour des médias ukrainiens, quels besoins d'information avez-vous identifiés ?
J’interviens comme coach éditorial dans le cadre du projet « Renforcer la résilience des médias en Ukraine », codirigé par la Fondation Hirondelle et l'ONG ukrainienne International Institute for Regional Media and Information (IRMI). Le projet a démarré en avril 2022, comme réponse d'urgence à l'invasion de la Russie. Nous avons alors aidé les médias locaux proches du front à répondre aux besoins d'information des personnes vivant un conflit : savoir où obtenir de l'aide humanitaire, que faire si votre famille a été déplacée, où brancher votre téléphone portable puisqu'il n'y a plus d'électricité... En mars 2023, le projet a commencé une deuxième phase dans laquelle nous soutenons 23 médias locaux indépendants, imprimés et en ligne, pour la plupart situés dans l'Est de l'Ukraine. Nous appuyons aussi des médias du centre et de l’Ouest du pays, où des millions de personnes ont été déplacées par la guerre, ainsi que deux chaînes de télévision. Nous travaillons avec les médias locaux parce que les communautés ukrainiennes locales se sentent souvent ignorées par les médias nationaux, surtout dans les zones de conflit : les médias nationaux viennent, font des reportages et repartent. Tandis que les médias locaux restent, c'est pourquoi ils jouissent d'une plus grande confiance. Nous renforçons leurs capacités éditoriales et nous les soutenons financièrement, afin d'aider les journalistes à produire de meilleurs articles qui répondent aux nouveaux besoins d'information de leur public.
Comment identifiez-vous ces nouveaux besoins ?
Début 2024, nous avons chargé quatre sociologues ukrainien·ne·s de comprendre le rôle des médias locaux dans la promotion de la cohésion sociale. Ils ont travaillé pendant six mois avec 23 communautés et un échantillon de près de 2 400 répondant·e·s. Leur enquête a été publiée en octobre. Deux résultats sont frappants : Premièrement, les gens veulent lire des histoires positives, et pas seulement des histoires de guerre. Deuxièmement, ils sont de plus en plus préoccupés par la reconstruction des régions dévastées par l'invasion russe, et ils veulent savoir où va l'argent, comment les gouvernements locaux dépensent leurs budgets. Il semble que l'inquiétude concernant la corruption nationale qui a suivi la révolution de Maïdan se soit déplacée au niveau local. Pour nous, ce sont de nouvelles lignes d’action.
Cet extrait est tiré du 13ème numéro du Médiation nommé "S'adapter à l'évolution des besoins d'information", que vous trouverez attaché en haut de cet article.